Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

dimanche 1 janvier 2017

L’inculture au pouvoir ?



La France, patrie de la culture. Soit, à condition toutefois de ne pas inclure dans une telle autocélébration nos … ministres de la culture.
 
Dans sa dernière livraison, le Figaro Magazine consacre son thème central aux « cinquante raisons d’aimer la France ». L’intention est louable et l’hebdomadaire a l’intelligence de ne pas verser dans un irénisme béat. Il souligne ainsi, parmi les motifs de fierté nationale, qu’une bonne quinzaine de nos compatriotes ont été lauréats du prestigieux prix Nobel de littérature, les deux derniers étant des romanciers pas encore décatis ou figés dans la cire des musées : Jean-Marie Gustave Le Clézio, en 2008, et plus récemment Patrick Modiano en 2014. Fort bien ! 

Pour faire bonne mesure, le FigMag cite Douglas Kennedy. Le romancier américain à succès qui vit aujourd’hui à Paris déclare adorer ce pays où, de sa concierge au moindre chauffeur de taxi, « tout le monde lit ». Tout le monde ? Voire. Peut-être ne l’a-t-on pas informé que, pour dénoter un enthousiasme de bon aloi, sa formule généreusement unanimiste ne s’appliquait pas forcément à nos ministres de la culture.

Bornons-nous seulement à considérer les derniers en date, afin qu'un André Malraux ne puisse se retourner dans sa tombe. Aurélie Filippetti ? Cette normalienne pourtant cultivée n’avait qu’un défaut mais de taille : quoique ministre de la République, elle estimait qu’il lui incombait de ne s’adresser qu’au peuple de gauche, y compris en matière de culture. Aussi tirait-elle une certaine gloire d’ignorer systématiquement tout ce qui comportait un arrière-goût de droite, forcément « rance » et « nauséabond » suivant la doxa en vigueur. Moyennant quoi, cette même Filippetti qui n’hésitait pas à se lamenter en public au moindre trépas d’écrivaillon exaltant les rappeurs ou le « vivre ensemble », demeura d’un mutisme insultant à la mort d’un Gérard de Villiers. Entendons-nous : on peut fort bien ne pas apprécier de Villiers et ne pas crier au prodige littéraire à la lecture des aventures estampillées SM du fameux prince Malko. Il n’en reste pas moins que le phénomène éditorial qu’il représentait était à sa manière significatif de notre France, et pas plus méprisable d’ailleurs que certaines manifestations soi-disant culturelles de nos bobos bien en cour.
 
Mais passons car le meilleur restait à venir avec la femme qui lui succéda au ministère de la rue de Valois, Fleur Pellerin. Invitée sur émission de Canal + en octobre 2014, celle-ci s’était montrée incapable de citer le moindre titre de livre de Patrick Modiano qui venait d’être couronné prix Nobel de littérature. Non seulement la ministre n’avait pas cru bon de s’excuser pour ce flagrant délit d’inculture – conjugué d’ailleurs, au cas d’espèce, à un manque de professionnalisme tout aussi évident – mais elle avait tancé le journaliste d’importance, arguant qu’elle était bien trop occupée pour lire la prose de l’écrivain français.

Qui s’était ému alors de la sortie de Fleur Pellerin, cette ministre de la « culture » qui se vantait de préférer les textes de loi voire les dépêches de l’AFP à nos romanciers ? Essentiellement la presse étrangère : le Guardian britannique titrant ironiquement « Modiano qui ? » et la presse espagnole évoquant pour sa part, à juste titre, « une inculture faisant honte à la France ». Quant à la presse française, elle s’était montrée plutôt indulgente à l’endroit de la ministre, révélant ainsi le niveau d’exigence dramatiquement bas qui est désormais le sien. L’hebdomadaire Le Point avait même cru devoir voler à la rescousse de madame Pellerin. Il avait fallu en définitive le Huffington Post pour sauver l’honneur par la plume de Claude Askolovitch qui avait parlé de «barbarie» et suggéré à la ministre de démissionner pour prendre le temps de se plonger dans notre littérature nationale.

Démissionner ? Mazette, on n’abandonne pas un maroquin pour si peu. D’ailleurs la liste des bévues ministérielles n’est peut-être pas tout à fait close si l’on en juge d’après la réaction plutôt minimaliste de la ministre Audrey Azoulay, successeur de madame Pellerin, lors du décès de Michel Déon. Outre le fait qu'il s'agit en l'occurrence d’un académicien, et même le doyen d’âge de la prestigieuse compagnie, nous avons affaire en la personne de Déon à un représentant majeur de nos lettres françaises. Quoi qu'il lui en coûtât, la ministre ne pouvait décemment rester sur son quant-à-soi après les hommages appuyés de la secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d’Encausse ou d’un homme de lettres, académicien distingué, aussi reconnu que Jean d’Ormesson ; ou encore du mécène de gauche Pierre Bergé qui a salué, ce qui est tout à son honneur, un "très bon écrivain" qu’il respectait « car il savait lire ».

Mais pourquoi donc le communiqué ministériel à la suite du décès de l’auteur des « Poneys sauvages » ou du « Taxi mauve » a-t-il relevé davantage du minimum syndical que de l'hommage digne, dû au rayonnement de son auteur ? Il faut bien relire les termes de ce communiqué dont le laconisme entend se justifier en creux par l’évocation de la proximité passée de Déon avec Charles Maurras.

Maurrassien ? Oui, Michel Déon l’a été de toute évidence et l’est resté, ne reniant pas ses responsabilités passées au sein de l’Action française. Antigaulliste ? Oui, il l’a été aussi et ne s’est pas davantage renié - à la différence des si nombreux "gaullistes" de la onzième heure - demeurant fidèle à ses idéaux de jeunesse. Etait-ce une raison valable pour ne retenir de lui que ce qui était susceptible de faire consensus à savoir son attachement pour cette terre irlandaise où il a si longtemps vécu et où il est mort ? Telle réduction peut légitimement choquer car Michel Déon, comme tout autre écrivain, forme un tout qu’on ne peut dissocier et dont on ne peut décemment retenir que ce qui est susceptible d’être admis par le politiquement correct. 

Déclarer n’aimer de Michel Déon que ce qui convient aux arbitres du « convenable », c’est de la politique. Aimer simplement Michel Déon sans la moindre discrimination, mais sans être dupe ou sans abandonner son sens critique pour autant, c’est de la culture au sens le plus noble. Mais nos ministres de la culture sont-ils seulement capables d’en saisir la différence ? Décidément, entre la politique et la culture, jamais l’écart n’a paru aussi dramatique.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire