La
France, patrie de la culture. Soit, à condition toutefois de ne pas
inclure dans une telle autocélébration nos … ministres de la culture.
Dans sa dernière livraison, le Figaro Magazine
consacre son thème central aux « cinquante raisons d’aimer la France ».
L’intention est louable et l’hebdomadaire a l’intelligence de ne pas
verser dans un irénisme béat. Il souligne ainsi, parmi les motifs de
fierté nationale, qu’une bonne quinzaine de nos compatriotes ont été
lauréats du prestigieux prix Nobel de littérature, les deux derniers
étant des romanciers pas encore décatis ou figés dans la cire des
musées : Jean-Marie Gustave Le Clézio, en 2008, et plus récemment
Patrick Modiano en 2014. Fort bien !
Pour faire bonne mesure, le FigMag
cite Douglas Kennedy. Le romancier américain à succès qui vit
aujourd’hui à Paris déclare adorer ce pays où, de sa concierge au
moindre chauffeur de taxi, « tout le monde lit ». Tout le monde ? Voire.
Peut-être ne l’a-t-on pas informé que, pour dénoter un enthousiasme de
bon aloi, sa formule généreusement unanimiste ne s’appliquait pas
forcément à nos ministres de la culture.
Bornons-nous
seulement à considérer les derniers en date, afin qu'un André Malraux
ne puisse se retourner dans sa tombe. Aurélie Filippetti ? Cette
normalienne pourtant cultivée n’avait qu’un défaut mais de taille :
quoique ministre de la République, elle estimait qu’il lui incombait de
ne s’adresser qu’au peuple de gauche, y compris en matière de culture.
Aussi tirait-elle une certaine gloire d’ignorer systématiquement tout ce
qui comportait un arrière-goût de droite, forcément « rance » et
« nauséabond » suivant la doxa en vigueur. Moyennant quoi,
cette même Filippetti qui n’hésitait pas à se lamenter en public au
moindre trépas d’écrivaillon exaltant les rappeurs ou le « vivre
ensemble », demeura d’un mutisme insultant à la mort d’un Gérard de
Villiers. Entendons-nous : on peut fort bien ne pas apprécier de
Villiers et ne pas crier au prodige littéraire à la lecture des
aventures estampillées SM du fameux prince Malko. Il n’en reste pas
moins que le phénomène éditorial qu’il représentait était à sa manière
significatif de notre France, et pas plus méprisable d’ailleurs que
certaines manifestations soi-disant culturelles de nos bobos bien en
cour.
Mais
passons car le meilleur restait à venir avec la femme qui lui succéda
au ministère de la rue de Valois, Fleur Pellerin. Invitée sur émission
de Canal + en octobre 2014, celle-ci s’était montrée incapable de citer
le moindre titre de livre de Patrick Modiano qui venait d’être couronné
prix Nobel de littérature. Non seulement la ministre n’avait pas cru bon
de s’excuser pour ce flagrant délit d’inculture – conjugué d’ailleurs,
au cas d’espèce, à un manque de professionnalisme tout aussi évident –
mais elle avait tancé le journaliste d’importance, arguant qu’elle était
bien trop occupée pour lire la prose de l’écrivain français.
Qui
s’était ému alors de la sortie de Fleur Pellerin, cette ministre de la
« culture » qui se vantait de préférer les textes de loi voire les
dépêches de l’AFP à nos romanciers ? Essentiellement la presse
étrangère : le Guardian
britannique titrant ironiquement « Modiano qui ? » et la presse
espagnole évoquant pour sa part, à juste titre, « une inculture faisant
honte à la France ». Quant à la presse française, elle s’était montrée
plutôt indulgente à l’endroit de la ministre, révélant ainsi le niveau
d’exigence dramatiquement bas qui est désormais le sien. L’hebdomadaire Le Point avait même cru devoir voler à la rescousse de madame Pellerin. Il avait fallu en définitive le Huffington Post
pour sauver l’honneur par la plume de Claude Askolovitch qui avait
parlé de «barbarie» et suggéré à la ministre de démissionner pour
prendre le temps de se plonger dans notre littérature nationale.
Démissionner ?
Mazette, on n’abandonne pas un maroquin pour si peu. D’ailleurs la
liste des bévues ministérielles n’est peut-être pas tout à fait close si
l’on en juge d’après la réaction plutôt minimaliste de la ministre
Audrey Azoulay, successeur de madame Pellerin, lors du décès de Michel
Déon. Outre le fait qu'il s'agit en l'occurrence d’un académicien, et
même le doyen d’âge de la prestigieuse compagnie, nous avons affaire en
la personne de Déon à un représentant majeur de nos lettres françaises.
Quoi qu'il lui en coûtât, la ministre ne pouvait décemment rester sur
son quant-à-soi après les hommages appuyés de la secrétaire perpétuelle
Hélène Carrère d’Encausse ou d’un homme de lettres, académicien
distingué, aussi reconnu que Jean d’Ormesson ; ou encore du mécène de
gauche Pierre Bergé qui a salué, ce qui est tout à son honneur, un "très
bon écrivain" qu’il respectait « car il savait lire ».
Mais
pourquoi donc le communiqué ministériel à la suite du décès de l’auteur
des « Poneys sauvages » ou du « Taxi mauve » a-t-il relevé davantage du
minimum syndical que de l'hommage digne, dû au rayonnement de son
auteur ? Il faut bien relire les termes de ce communiqué dont le
laconisme entend se justifier en creux par l’évocation de la proximité
passée de Déon avec Charles Maurras.
Maurrassien ?
Oui, Michel Déon l’a été de toute évidence et l’est resté, ne reniant
pas ses responsabilités passées au sein de l’Action française.
Antigaulliste ? Oui, il l’a été aussi et ne s’est pas davantage renié - à
la différence des si nombreux "gaullistes" de la onzième heure -
demeurant fidèle à ses idéaux de jeunesse. Etait-ce une raison valable
pour ne retenir de lui que ce qui était susceptible de faire consensus à
savoir son attachement pour cette terre irlandaise où il a si longtemps
vécu et où il est mort ? Telle réduction peut légitimement choquer car
Michel Déon, comme tout autre écrivain, forme un tout qu’on ne peut
dissocier et dont on ne peut décemment retenir que ce qui est
susceptible d’être admis par le politiquement correct.
Déclarer
n’aimer de Michel Déon que ce qui convient aux arbitres du
« convenable », c’est de la politique. Aimer simplement Michel Déon sans
la moindre discrimination, mais sans être dupe ou sans abandonner son
sens critique pour autant, c’est de la culture au sens le plus noble.
Mais nos ministres de la culture sont-ils seulement capables d’en saisir
la différence ? Décidément, entre la politique et la culture, jamais
l’écart n’a paru aussi dramatique.
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