Je sais bien que le
vocable est tombé dans le domaine public depuis des lustres, mais tout de même !
Il y a plus qu’un simple abus à évoquer à tout bout de champ le gaullisme ou,
pire encore, à s’en prévaloir sans vergogne : une outrance voire une
indécence.
On pourrait argumenter
à l’infini sur le thème éculé du « gaullisme sans de Gaulle » mais
cela n’aurait pas d’autre intérêt qu’académique. Le fait est que beaucoup trop
de nos politiques, à gauche tout autant qu’à droite d’ailleurs, se réclament aujourd’hui
du gaullisme en commettant une erreur – souvent délibérée – sur la marchandise.
A gauche, tout d’abord.
Nul besoin d’être un politologue de haut vol pour savoir que les gens de gauche
furent de tout temps les adversaires les plus acharnés du Général. Ce fut le
cas, dès après la guerre, lorsque Léon Blum et Vincent Auriol, entre autres,
traitèrent ouvertement l’homme du 18 juin de « dictateur » méprisant
la démocratie et la République. Ils oubliaient ce faisant que c’était bien de
Gaulle qui avait rétabli la démocratie contre Vichy alors que tant de
socialistes s’étaient fourvoyés et que les communistes n’avaient jugé bon de
résister qu’une fois l’URSS entrée en guerre, c’est-à-dire en juin 1941 …
Par la suite, la gauche
aurait encore l’occasion de hurler tout aussi vainement à l’autoritarisme lors
du retour du Général, en juin 1958. On se souviendra de ce défilé consternant
de soi-disant « défense de la République » avec, en tête de cortège,
Mendès-France, Mitterrand et … Daladier, l’homme de Munich. On gardera
également en mémoire l’essai de Mitterrand, Le
Coup d’Etat permanent, non sans
quelque ironie compte tenu de l’aisance avec laquelle ledit Mitterrand, devenu
président, se coula dans les habits de la Ve République confectionnés par de
Gaulle. On n’oubliera pas non plus l’outrance insultante par laquelle, en 1962,
le président du Sénat Gaston Monnerville (un Guyanais d’origine, à croire que l’outrance
soit familière à ces sympathiques ressortissants, n’est-ce pas Madame Taubira ?)
qualifia de « forfaiture » l’initiative de de Gaulle visant à
proposer par référendum l’élection du président de la République au suffrage
universel. « Forfaiture » reprit à l’unisson la gauche bien-pensante
de l’époque. Avec le recul, on peut prendre la mesure du ridicule qui fut alors
le sien.
Il est clair que la
gauche n’a jamais rien compris à de Gaulle et on fera la grâce de ne pas
rappeler son opposition outragée à l’édification d’une force nucléaire
nationale, la fameuse « bombinette » selon le mot du Canard Enchaîné. Aussi est-il un peu
saumâtre de voir certains héritiers socialistes se réclamer ici ou là – fût-ce
par la bouche d’un Chevènement – du Général et du gaullisme. Rien n’a été et
rien n’est encore plus éloigné du gaullisme que la gauche quand bien même celle-ci
se donne de temps à autres des airs martiaux.
Quant à la droite, ce n’est
guère plus reluisant : des héritiers au petit pied, prompts à réciter une
vulgate gaullienne apprise par cœur mais sans la moindre vision, sans grandeur,
sans panache : en un mot, sans cette « sublime naïveté » que
Claude Mauriac avait débusquée chez le Général. Il ne suffit pas de donner dans
le psittacisme et crier « de Gaulle ! de Gaulle ! de Gaulle ! »
aux quatre vents pour capter fût-ce une partie de son héritage. Car celui-ci
consistait avant tout en un état d’esprit pour ne pas dire « une certaine
idée » qui est complètement absente à cette famille politique qui, de nos
jours, se prétend encore gaulliste.
Le gaullisme est mort
avec de Gaulle qui avait d’ailleurs toujours rejeté, de son vivant, ce vocable.
Le seul à l’avoir compris, avec son intelligence sceptique qui confinait
souvent au sarcastique, fut son successeur à l’Elysée, Georges Pompidou. Déjà, il
avait fait scandale en déclarant tout de go que « la résistance l’emmerdait »,
non pas parce qu’il n’y avait point participé, mais parce que trop de gens s’en
prévalaient alors qu’ils ne l’avaient rejointe, dans le meilleur des cas, qu’à
la onzième heure. Mais sur le chapitre du gaullisme, il fut tout aussi
circonspect. Et pourtant, il avait des titres de noblesse à faire valoir, ayant
été le directeur de cabinet du Général aux temps difficiles, puis son premier
ministre et, en tout cas, son collaborateur de loin le plus apprécié. Pas plus
qu’il n’eut la prétention de se situer sur le même registre que le Général, Pompidou
ne s’est jamais donné le ridicule de se réclamer du gaullisme dont il savait
bien qu’il avait disparu avec son fondateur.
Hélas, tout le monde à
droite n’eut pas l’intelligence et la finesse de Pompidou, loin s’en faut. Ce
fut même le contraire avec le bal sans fin des hypocrites, des traîtres, des
imitateurs et des médiocres dont le moindre ne fut pas Jacques Chirac en
personne. Quoi de moins gaullien que ce « rad-soc » en peau de lapin
qui tremblait devant les syndicats et confondait trop souvent gaullisme et
antiaméricanisme ? Quoi de moins gaullien que cet amateur de bière et de tête de veau, indépendamment même de ses frasques féminines ? On m’assure que ce dernier sera regretté lorsque viendra l’heure
de tirer sa révérence. Je suis tout prêt à m’en convaincre tant il est vrai que
cette France-là, dans laquelle nous vivons, n’a décidément plus rien de
gaulliste.
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