Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 1 mai 2014

Le géant et ses épigones


Je sais bien que le vocable est tombé dans le domaine public depuis des lustres, mais tout de même ! Il y a plus qu’un simple abus à évoquer à tout bout de champ le gaullisme ou, pire encore, à s’en prévaloir sans vergogne : une outrance voire une indécence.

On pourrait argumenter à l’infini sur le thème éculé du « gaullisme sans de Gaulle » mais cela n’aurait pas d’autre intérêt qu’académique. Le fait est que beaucoup trop de nos politiques, à gauche tout autant qu’à droite d’ailleurs, se réclament aujourd’hui du gaullisme en commettant une erreur – souvent délibérée – sur la marchandise.

A gauche, tout d’abord. Nul besoin d’être un politologue de haut vol pour savoir que les gens de gauche furent de tout temps les adversaires les plus acharnés du Général. Ce fut le cas, dès après la guerre, lorsque Léon Blum et Vincent Auriol, entre autres, traitèrent ouvertement l’homme du 18 juin de « dictateur » méprisant la démocratie et la République. Ils oubliaient ce faisant que c’était bien de Gaulle qui avait rétabli la démocratie contre Vichy alors que tant de socialistes s’étaient fourvoyés et que les communistes n’avaient jugé bon de résister qu’une fois l’URSS entrée en guerre, c’est-à-dire en juin 1941 …

Par la suite, la gauche aurait encore l’occasion de hurler tout aussi vainement à l’autoritarisme lors du retour du Général, en juin 1958. On se souviendra de ce défilé consternant de soi-disant « défense de la République » avec, en tête de cortège, Mendès-France, Mitterrand et … Daladier, l’homme de Munich. On gardera également en mémoire l’essai de Mitterrand, Le Coup d’Etat permanent, non sans quelque ironie compte tenu de l’aisance avec laquelle ledit Mitterrand, devenu président, se coula dans les habits de la Ve République confectionnés par de Gaulle. On n’oubliera pas non plus l’outrance insultante par laquelle, en 1962, le président du Sénat Gaston Monnerville (un Guyanais d’origine, à croire que l’outrance soit familière à ces sympathiques ressortissants, n’est-ce pas Madame Taubira ?) qualifia de « forfaiture » l’initiative de de Gaulle visant à proposer par référendum l’élection du président de la République au suffrage universel. « Forfaiture » reprit à l’unisson la gauche bien-pensante de l’époque. Avec le recul, on peut prendre la mesure du ridicule qui fut alors le sien.

Il est clair que la gauche n’a jamais rien compris à de Gaulle et on fera la grâce de ne pas rappeler son opposition outragée à l’édification d’une force nucléaire nationale, la fameuse « bombinette » selon le mot du Canard Enchaîné. Aussi est-il un peu saumâtre de voir certains héritiers socialistes se réclamer ici ou là – fût-ce par la bouche d’un Chevènement – du Général et du gaullisme. Rien n’a été et rien n’est encore plus éloigné du gaullisme que la gauche quand bien même celle-ci se donne de temps à autres des airs martiaux.

Quant à la droite, ce n’est guère plus reluisant : des héritiers au petit pied, prompts à réciter une vulgate gaullienne apprise par cœur mais sans la moindre vision, sans grandeur, sans panache : en un mot, sans cette « sublime naïveté » que Claude Mauriac avait débusquée chez le Général. Il ne suffit pas de donner dans le psittacisme et crier « de Gaulle ! de Gaulle ! de Gaulle ! » aux quatre vents pour capter fût-ce une partie de son héritage. Car celui-ci consistait avant tout en un état d’esprit pour ne pas dire « une certaine idée » qui est complètement absente à cette famille politique qui, de nos jours, se prétend encore gaulliste. 

Le gaullisme est mort avec de Gaulle qui avait d’ailleurs toujours rejeté, de son vivant, ce vocable. Le seul à l’avoir compris, avec son intelligence sceptique qui confinait souvent au sarcastique, fut son successeur à l’Elysée, Georges Pompidou. Déjà, il avait fait scandale en déclarant tout de go que « la résistance l’emmerdait », non pas parce qu’il n’y avait point participé, mais parce que trop de gens s’en prévalaient alors qu’ils ne l’avaient rejointe, dans le meilleur des cas, qu’à la onzième heure. Mais sur le chapitre du gaullisme, il fut tout aussi circonspect. Et pourtant, il avait des titres de noblesse à faire valoir, ayant été le directeur de cabinet du Général aux temps difficiles, puis son premier ministre et, en tout cas, son collaborateur de loin le plus apprécié. Pas plus qu’il n’eut la prétention de se situer sur le même registre que le Général, Pompidou ne s’est jamais donné le ridicule de se réclamer du gaullisme dont il savait bien qu’il avait disparu avec son fondateur. 

Hélas, tout le monde à droite n’eut pas l’intelligence et la finesse de Pompidou, loin s’en faut. Ce fut même le contraire avec le bal sans fin des hypocrites, des traîtres, des imitateurs et des médiocres dont le moindre ne fut pas Jacques Chirac en personne. Quoi de moins gaullien que ce « rad-soc » en peau de lapin qui tremblait devant les syndicats et confondait trop souvent gaullisme et antiaméricanisme ? Quoi de moins gaullien que cet amateur de bière et de tête de veau, indépendamment même de ses frasques féminines ? On m’assure que ce dernier sera regretté lorsque viendra l’heure de tirer sa révérence. Je suis tout prêt à m’en convaincre tant il est vrai que cette France-là, dans laquelle nous vivons, n’a décidément plus rien de gaulliste.

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