Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 29 mai 2014

Savoir se retirer


Ainsi donc, Philip Roth vient d'annoncer publiquement sa retraite de romancier après avoir bouclé son opus n° 31. Une retraite bien méritée, à l'âge de 81 ans, en concluront certains. Certes, mais la question reste de savoir si un écrivain peut prendre sa retraite comme un cheminot ou un fonctionnaire des douanes. Non ? Vraiment ? Et Rimbaud alors, qui s'est retiré du monde des lettres alors qu'il avait à peine une vingtaine de printemps à son compteur ?

La vraie retraite, pour un artiste, s’impose quand il estime avoir exprimé ce qu'il avait à exprimer. Quand il considère n'avoir plus rien à dire. Ce fut le cas de Nicolas de Staël qui, lui, en tira des conclusions extrêmes et tragiques puisqu'il n'eut pas d'autre alternative que d'en finir avec la vie. Moyennant quoi il se défenestra dans sa maison d'Antibes. Ce fut aussi le cas de Montherlant. Tout de même, il en faut de l'honnêteté intellectuelle et morale, sans parler du courage, pour en arriver là.

A l'inverse, combien d'autres artistes jouent les prolongations au-delà du raisonnable ! Combien on aimerait les voir se retirer sur l'Aventin, ne serait-ce que pour que leur propre image n’ait pas à en pâtir. Il est vrai que la tentation est trop forte. L’appât du gain, c’est entendu, mais aussi cette façon de tenter d’éviter l’inéluctable – la fin – en retardant désespérément l’échéance. Sur le thème bien connu : encore un instant, un dernier instant de plaisir voyons, monsieur le bourreau. Ou sur le mode : d’accord je baisse, mais les autres ne m'arrivent pas à la cheville. Alors ...

… alors nous subissons les départs de diva, les retours sans fin, les encore et les curtain calls tous aussi trompeurs. Au point qu'on n'y croit plus vraiment. "M'arrêter là", c'était l'intitulé de la tournée de Johnny Hallyday en 2009. Qu'on aime ou non l’artiste, il y avait comme de l'allure dans cette annonce. L'ennui est que le rocker ne s'est pas arrêté du tout, au point d'en devenir aujourd’hui franchement pathétique dans sa façon de s’accrocher. Aznavour n'a pas fait beaucoup mieux, de ce point de vue, et ne s'est toujours pas résigné à décrocher malgré ses 90 ans bien sonnés. En Amérique, on avait eu le cas de Sinatra qui avait décidé de prendre sa retraite, en 1971, avant d'y renoncer sous la pression amicale, dit-on, du président Nixon. La carrière du crooner était alors plus que trentenaire. Y gagna-t-il vraiment à la prolonger d'une vingtaine d'années supplémentaires, même si c'était tout de même Sinatra ?

Tirer le rideau, décider de l'instant, requiert une noblesse qu'il faut d'autant plus saluer qu'elle n'est plus de ce temps. De nos jours, en effet, on ne s'arrête plus. On ne sait plus tirer sa révérence avec élégance et détachement. On dure, on dure, on occupe le terrain tant qu'on peut. On s’use jusqu’à la corde mais qu’importe ! L’essentiel est de ne pas s’éloigner ou de n’être pas absent car les retraités ou les disparus ont toujours tort. Du moins le croit-on.

En revanche, l'artiste ou l'intellectuel qui perçoit ses limites ou le bout du chemin a quelque chose d'émouvant. Toute histoire, et celle d'une carrière en est une authentique, doit comporter un clap de fin sous peine de se diluer dans une sorte de banalisation frustrante pour tout le monde.

Pour revenir à Philip Roth, ses oeuvres de jeunesse à l’instar de son Portnoy ne m'avaient pas franchement enthousiasmé quand bien même elles révélaient un véritable romancier. Par la suite, il s'était fait plus grave, plus profond et avait fini par s’inscrire, à mes yeux, dans les grands courants de la littérature américaine. Pour tout cela, je lui témoigne une gratitude d'autant plus sincère que lui, au moins, aura su se retirer à temps.

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