Ainsi donc,
Philip Roth vient d'annoncer publiquement sa retraite de romancier après avoir
bouclé son opus n° 31. Une retraite bien méritée, à l'âge de 81 ans, en
concluront certains. Certes, mais la question reste de savoir si un écrivain
peut prendre sa retraite comme un cheminot ou un fonctionnaire des douanes. Non
? Vraiment ? Et Rimbaud alors, qui s'est retiré du monde des lettres alors
qu'il avait à peine une vingtaine de printemps à son compteur ?
La vraie retraite,
pour un artiste, s’impose quand il estime avoir exprimé ce qu'il avait à
exprimer. Quand il considère n'avoir plus rien à dire. Ce fut le cas de Nicolas
de Staël qui, lui, en tira des conclusions extrêmes et tragiques puisqu'il
n'eut pas d'autre alternative que d'en finir avec la vie. Moyennant quoi il se
défenestra dans sa maison d'Antibes. Ce fut aussi le cas de Montherlant. Tout
de même, il en faut de l'honnêteté intellectuelle et morale, sans parler du
courage, pour en arriver là.
A l'inverse,
combien d'autres artistes jouent les prolongations au-delà du raisonnable !
Combien on aimerait les voir se retirer sur l'Aventin, ne serait-ce que pour que
leur propre image n’ait pas à en pâtir. Il est vrai que la tentation est trop
forte. L’appât du gain, c’est entendu, mais aussi cette façon de tenter
d’éviter l’inéluctable – la fin – en retardant désespérément l’échéance. Sur le
thème bien connu : encore un instant, un dernier instant de plaisir voyons,
monsieur le bourreau. Ou sur le mode : d’accord je baisse, mais les autres ne
m'arrivent pas à la cheville. Alors ...
… alors nous
subissons les départs de diva, les retours sans fin, les encore et les curtain calls
tous aussi trompeurs. Au point qu'on n'y croit plus vraiment. "M'arrêter
là", c'était l'intitulé de la tournée de Johnny Hallyday en 2009. Qu'on aime
ou non l’artiste, il y avait comme de l'allure dans cette annonce. L'ennui est
que le rocker ne s'est pas arrêté du tout, au point d'en devenir aujourd’hui
franchement pathétique dans sa façon de s’accrocher. Aznavour n'a pas fait beaucoup
mieux, de ce point de vue, et ne s'est toujours pas résigné à décrocher malgré
ses 90 ans bien sonnés. En Amérique, on avait eu le cas de Sinatra qui avait
décidé de prendre sa retraite, en 1971, avant d'y renoncer sous la pression
amicale, dit-on, du président Nixon. La carrière du crooner était alors plus
que trentenaire. Y gagna-t-il vraiment à la prolonger d'une vingtaine d'années
supplémentaires, même si c'était tout de même Sinatra ?
Tirer le rideau,
décider de l'instant, requiert une noblesse qu'il faut d'autant plus saluer
qu'elle n'est plus de ce temps. De nos jours, en effet, on ne s'arrête plus. On
ne sait plus tirer sa révérence avec élégance et détachement. On dure, on dure,
on occupe le terrain tant qu'on peut. On s’use jusqu’à la corde mais
qu’importe ! L’essentiel est de ne pas s’éloigner ou de n’être pas absent
car les retraités ou les disparus ont toujours tort. Du moins le croit-on.
En revanche,
l'artiste ou l'intellectuel qui perçoit ses limites ou le bout du chemin a
quelque chose d'émouvant. Toute histoire, et celle d'une carrière en est une
authentique, doit comporter un clap de fin sous peine de se diluer dans une
sorte de banalisation frustrante pour tout le monde.
Pour revenir à Philip Roth, ses oeuvres de
jeunesse à l’instar de son Portnoy ne
m'avaient pas franchement enthousiasmé quand bien même elles révélaient un
véritable romancier. Par la suite, il s'était fait plus grave, plus profond et
avait fini par s’inscrire, à mes yeux, dans les grands courants de la
littérature américaine. Pour tout cela, je lui témoigne une gratitude d'autant
plus sincère que lui, au moins, aura su se retirer à temps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire