Inspirées par une générosité désincarnée et étrangère
aux réalités, les positions affichées par le pape François sur les migrants sont difficilement compréhensibles.
Est-ce dû au fait qu’il n’était qu’un outsider en
2013, lors de son élection à la succession de Benoît XVI, comparé aux papabili qu’étaient alors les cardinaux italiens Gianfranco Ravasi et Angelo Scola ou encore
le Guinéen Robert Sarah ? Est-ce parce qu’il a eu lui-même d'emblée la
conviction que son pontificat serait très bref, quatre ou cinq ans peut-être même seulement deux ou trois ? Voici que le pape François ne se contente
plus d’adopter des postures atypiques ou à contre-courant. Ses dernières prises de positions sont carrément dévastatrices et mettraient même, à en croire certains
commentateurs, l’Europe en danger.
Selon le pape, en effet, l’Europe faillirait
aujourd'hui à ses devoirs humanitaires. La pression démographique qu’exerce l'Afrique et
qui n’en est qu’à ses débuts ? Les tensions identitaires que subissent les pays
européens qui s’ouvrent à des populations exogènes dont les valeurs sont souvent très
éloignées de nos valeurs humanistes inspirées par les Lumières ? Le pape paraît étrangement les
ignorer et entend même signifier que ce n’est pas son problème. Et de prêcher l'accueil pour tous, clandestins compris, et même l’accueil élargi des
familles : ne réclame-t-il pas le «regroupement familial qui inclurait grands-parents,
frères, sœurs et petits enfants ? Que la capacité de ces populations à
s’intégrer dans un pays d’accueil soit plutôt sujette à caution n’est pas non
plus apparemment le problème du Saint Père.
Pour lui, la «sécurité nationale» devrait
passer après la «sécurité personnelle». Aussi fustige-t-il avec la plus grande
vigueur la mise en détention de «ceux qui entrent sur le territoire national
sans autorisation». Par là même, il prône imprudemment l'effacement du droit devant une certaine morale. Or, on le sait d'expérience, la morale n'a jamais fait une bonne politique. Voici à présent que le Saint Père, non sans quelque provocation, préconise l’accès illimité aux soins – gratuits, cela va de soi - et « aux systèmes de pension » au bénéfice des immigrants. Bien sûr, il refuse en même temps l'assimilation de
ces nouveaux venus au motif que cela conduirait à supprimer ou oublier leur propre
identité culturelle : quitte à donner de la sorte à l'assimilation une connotation restrictive parce que coercitive. Mais que les Européens d’origine voient leur propre
identité culturelle menacée dans le même temps ne le préoccupe pas le moins
du monde. Et que le Vatican accueille et prenne à sa charge quelques milliers
de ces malheureux venus d’ailleurs ne lui vient même pas à l’idée. Assez curieusement et contrairement au vieil adage afférent à la charité, pour une fois générosité bien ordonnée ne commence pas par soi-même ...
Faut-il vraiment s’en étonner ? On
l’oublie un peu trop souvent mais le pape François n’est pas Européen. Jorge
Mario Bergoglio reste fondamentalement sud-américain et a d'ailleurs été formé dans l'esprit ce qu'on appelait dans les années 1970 la "théologie
de la libération" qui reprenait à son compte une grande partie des thèses du
socialisme révolutionnaire. Le saint homme n’a pas le vécu tragique des Européens - tel que sut notamment l'incarner Jean-Paul II - qu'il ne comprend sans doute pas au fond de lui, n’ayant jamais éprouvé leurs craintes ou leurs
appréhensions. Fort d'un certain aplomb souriant, le pape François choisit délibérément le parti de
l’innocence généreuse, désincarnée et abstraite.
En théorie, il n'est guère contestable qu'il est dans son rôle.
Toutefois, dans la pratique, ce genre d’innocence flirte malheureusement avec l'ignorance. Il confine même à l'égoïsme en minimisant ou en se désintéressant
ouvertement du désarroi des peuples européens face à une immigration devenue incontrôlable
et à une culture islamique qui n’a jamais cherché réellement à s'intégrer. Innocence
feinte et désintérêt affiché sont les deux composantes de ce que certains
désormais désignent avec sévérité comme l’irresponsabilité du pape actuel.
Sa conviction d’une Europe
multiculturelle ? C’est naturellement son droit et, du reste, le Saint Père n’est pas
le seul à la défendre. En Allemagne, Angela Merkel a enfourché ce cheval de bataille dont se souviennent encore les femmes de Cologne. Chez nous en France – une formule moins pléonasmique
qu’elle n’apparaît – on en connaît qui rêvent d'en faire autant, avec cette légèreté nimbée
d’arrogance méprisante qui est propre aux "bobos" : une catégorie qui n’a jamais vu et ne verra sans doute jamais un immigré camper
à ses portes. Pourtant, s’il est vrai que le peuple ne prête qu'une attention distraite aux propos de ces nantis, d’Anne
Hidalgo la « reine » de ces bobos à Jack Lang, leur inspirateur
« gauche caviar », il en va différemment pour le
Souverain Pontife.
Comme celle de ses prédécesseurs au trône de
Saint-Pierre, la voix du pape François porte très au-delà de sa personne. C’est
pourquoi sa défense obstinée et aujourd'hui radicale d'une Europe multiculturelle a des côtés
suicidaires, à la fois par son irréalisme manifeste – au passage, qui va
donc payer la facture d'une telle générosité ? – et par son refus d’en admettre les
conséquences. A-t-on informé le pape des menaces que l’ouverture à tous les vents des
frontières européennes comporte en matière de terrorisme et de sécurité plus généralement, de
tension identitaire voire de simple tolérance à la misère du monde. Il est certes valorisant et éthique d’exhiber sa grande générosité et de
faire prévaloir la « sécurité personnelle » sur la « sécurité
nationale ». Mais, à ce compte-là, qu’en est-il de la sécurité personnelle
des Européens ? Il semble hélas que ce soit le cadet des soucis du pape et c'est précisément ce qui rend difficilement crédibles les leçons manichéennes qu’il
professe entre l’Europe et un camp des « bons » essentialisé.
Il n'y a d'ailleurs pas que l'Europe à se retrouver concernée par cette obsession moralisatrice à géométrie variable. Il y a quelques jours seulement, lors de l'angélus du dimanche, le pape a affiché sa
solidarité et demandé le respect des droits de la minorité musulmane des
Rohingyas à la suite de violences survenues en Birmanie, un pays à plus de 90%
bouddhiste. Ce faisant, il n'a pas hésité à parler de "la persécution de la
minorité religieuse de nos frères Rohingya". Mais s'est-il interrogé sur les raisons réelles de telles violences et sur l'exaspération de Bouddhistes dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas a priori portés sur la violence ? S'il s'y était résolu, peut-être aurait-il compris que cette violence avait pris la forme d'affrontements entre
forces de l'ordre et rebelles rohingyas. Rebelles, mais à quoi donc ? A l'ordre local ? Aux traditions locales ? En effet, on comprend un peu mieux mais pas le Saint Père qui persiste mordicus à évoquer "des gens bons et pacifiques", qui "souffrent depuis des années" et sont "torturés et tués en
raison de leurs traditions et de leur foi" en Birmanie.
L’angélisme, on le sait de longue date, a ses limites. Il est plus qu'inquiétant que le pontificat de cet homme déjà octogénaire refuse de le reconnaître et d’en prendre la
pleine mesure. Il est encore plus inquiétant que cet angélisme soit de nature sélective. On ne sache pas, en effet, que le pape s'indigne autant des persécutions, permanentes celles-là, des chrétiens et des juifs en terre d'islam.
Il y a urgence cependant. L’angélisme est fatalement souvent voué à l’impasse faute de savoir appréhender les contraintes du
réel. Entretemps, il nous aura affligé de ces « idiots
utiles » qui nous assènent avec superbe une bonne parole dont ils prêchent l'exemplarité sans jamais en assumer les conséquences. Une semblable impasse guette l'angélisme papal. Il y a peu de chances, en effet, pour que la
générosité humaniste du Vatican serve d’exemple à ceux qu'elle cherche à protéger. Gageons, bien
au contraire, qu'elle sera plus volontiers perçue comme un signe supplémentaire de
faiblesse de la chrétienté et de l’Europe sinon comme un aveu de leur
culpabilisation historique : d'où la probabilité de nouveaux appels d'air en matière d'immigration et d'encouragements implicites au terrorisme. Bref, la soumission telle que la présumait Michel Houellebecq n’est plus
très loin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire