Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

dimanche 27 août 2017

Vatican : une volonté de générosité bien inquiétante



Inspirées par une générosité désincarnée et étrangère aux réalités, les positions affichées par le pape François sur les migrants sont difficilement compréhensibles.

Est-ce dû au fait qu’il n’était qu’un outsider en 2013, lors de son élection à la succession de Benoît XVI, comparé aux papabili qu’étaient alors les cardinaux italiens Gianfranco Ravasi et Angelo Scola ou encore le Guinéen Robert Sarah ? Est-ce parce qu’il a eu lui-même d'emblée la conviction que son pontificat serait très bref, quatre ou cinq ans peut-être même seulement deux ou trois ? Voici que le pape François ne se contente plus d’adopter des postures atypiques ou à contre-courant. Ses dernières prises de positions sont carrément dévastatrices et mettraient même, à en croire certains commentateurs, l’Europe en danger.

Selon le pape, en effet, l’Europe faillirait aujourd'hui à ses devoirs humanitaires. La pression démographique qu’exerce l'Afrique et qui n’en est qu’à ses débuts ? Les tensions identitaires que subissent les pays européens qui s’ouvrent à des populations exogènes dont les valeurs sont souvent très éloignées de nos valeurs humanistes inspirées par les Lumières ? Le pape paraît étrangement les ignorer et entend même signifier que ce n’est pas son problème. Et de prêcher l'accueil pour tous, clandestins compris, et même l’accueil élargi des familles : ne réclame-t-il pas le «regroupement familial qui inclurait grands-parents, frères, sœurs et petits enfants ? Que la capacité de ces populations à s’intégrer dans un pays d’accueil soit plutôt sujette à caution n’est pas non plus apparemment le problème du Saint Père.

Pour lui, la «sécurité nationale» devrait passer après la «sécurité personnelle». Aussi fustige-t-il avec la plus grande vigueur la mise en détention de «ceux qui entrent sur le territoire national sans autorisation». Par là même, il prône imprudemment l'effacement du droit devant une certaine morale. Or, on le sait d'expérience, la morale n'a jamais fait une bonne politique. Voici à présent que le Saint Père, non sans quelque provocation, préconise l’accès illimité aux soins – gratuits, cela va de soi - et « aux systèmes de pension » au bénéfice des immigrants. Bien sûr, il refuse en même temps l'assimilation de ces nouveaux venus au motif que cela conduirait à supprimer ou oublier leur propre identité culturelle : quitte à donner de la sorte à l'assimilation une connotation restrictive parce que coercitive. Mais que les Européens d’origine voient leur propre identité culturelle menacée dans le même temps ne le préoccupe pas le moins du monde. Et que le Vatican accueille et prenne à sa charge quelques milliers de ces malheureux venus d’ailleurs ne lui vient même pas à l’idée. Assez curieusement et contrairement au vieil adage afférent à la charité, pour une fois générosité bien ordonnée ne commence pas par soi-même ...

Faut-il vraiment s’en étonner ? On l’oublie un peu trop souvent mais le pape François n’est pas Européen. Jorge Mario Bergoglio reste fondamentalement sud-américain et a d'ailleurs été formé dans l'esprit ce qu'on appelait dans les années 1970 la "théologie de la libération" qui reprenait à son compte une grande partie des thèses du socialisme révolutionnaire. Le saint homme n’a pas le vécu tragique des Européens - tel que sut notamment l'incarner Jean-Paul II - qu'il ne comprend sans doute pas au fond de lui, n’ayant jamais éprouvé leurs craintes ou leurs appréhensions. Fort d'un certain aplomb souriant, le pape François choisit délibérément le parti de l’innocence généreuse, désincarnée et abstraite.

En théorie, il n'est guère contestable qu'il est dans son rôle. Toutefois, dans la pratique, ce genre d’innocence flirte malheureusement avec l'ignorance. Il confine même à l'égoïsme en minimisant ou en se désintéressant ouvertement du désarroi des peuples européens face à une immigration devenue incontrôlable et à une culture islamique qui n’a jamais cherché réellement à s'intégrer. Innocence feinte et désintérêt affiché sont les deux composantes de ce que certains désormais désignent avec sévérité comme l’irresponsabilité du pape actuel.

Sa conviction d’une Europe multiculturelle ? C’est naturellement son droit et, du reste, le Saint Père n’est pas le seul à la défendre. En Allemagne, Angela Merkel a enfourché ce cheval de bataille dont se souviennent encore les femmes de Cologne. Chez nous en France – une formule moins pléonasmique qu’elle n’apparaît – on en connaît qui rêvent d'en faire autant, avec cette légèreté nimbée d’arrogance méprisante qui est propre aux "bobos" : une catégorie qui n’a jamais vu et ne verra sans doute jamais un immigré camper à ses portes. Pourtant, s’il est vrai que le peuple ne prête qu'une attention distraite aux propos de ces nantis, d’Anne Hidalgo la « reine » de ces bobos à Jack Lang, leur inspirateur « gauche caviar », il en va différemment pour le Souverain Pontife.

Comme celle de ses prédécesseurs au trône de Saint-Pierre, la voix du pape François porte très au-delà de sa personne. C’est pourquoi sa défense obstinée et  aujourd'hui radicale d'une Europe multiculturelle a des côtés suicidaires, à la fois par son irréalisme manifeste – au passage, qui va donc payer la facture d'une telle générosité ? – et par son refus d’en admettre les conséquences. A-t-on informé le pape des menaces que l’ouverture à tous les vents des frontières européennes comporte en matière de terrorisme et de sécurité plus généralement, de tension identitaire voire de simple tolérance à la misère du monde. Il est certes valorisant et éthique d’exhiber sa grande générosité et de faire prévaloir la « sécurité personnelle » sur la « sécurité nationale ». Mais, à ce compte-là, qu’en est-il de la sécurité personnelle des Européens ? Il semble hélas que ce soit le cadet des soucis du pape et c'est précisément ce qui rend difficilement crédibles les leçons manichéennes qu’il professe entre l’Europe et un camp des « bons » essentialisé.

Il n'y a d'ailleurs pas que l'Europe à se retrouver concernée par cette obsession moralisatrice à géométrie variable.  Il y a quelques jours seulement, lors de l'angélus du dimanche, le pape a affiché sa solidarité et demandé le respect des droits de la minorité musulmane des Rohingyas à la suite de violences survenues en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste. Ce faisant, il n'a pas hésité à parler de "la persécution de la minorité religieuse de nos frères Rohingya". Mais s'est-il interrogé sur les raisons réelles de telles violences et sur l'exaspération de Bouddhistes dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas a priori portés sur la violence ? S'il s'y était résolu, peut-être aurait-il compris que cette violence avait pris la forme d'affrontements entre forces de l'ordre et rebelles rohingyas. Rebelles, mais à quoi donc ? A l'ordre local ? Aux traditions locales ? En effet, on comprend un peu mieux mais pas le Saint Père qui persiste mordicus à évoquer "des gens bons et pacifiques", qui "souffrent depuis des années" et sont "torturés et tués en raison de leurs traditions et de leur foi" en Birmanie.

L’angélisme, on le sait de longue date, a ses limites. Il est plus qu'inquiétant que le pontificat de cet homme déjà octogénaire refuse de le reconnaître et d’en prendre la pleine mesure. Il est encore plus inquiétant que cet angélisme soit de nature sélective. On ne sache pas, en effet, que le pape s'indigne autant des persécutions, permanentes celles-là, des chrétiens et des juifs en terre d'islam.

Il y a urgence cependant. L’angélisme est fatalement souvent voué à l’impasse faute de savoir appréhender les contraintes du réel. Entretemps, il nous aura affligé de ces « idiots utiles » qui nous assènent avec superbe une bonne parole dont ils prêchent l'exemplarité sans jamais en assumer les conséquences. Une semblable impasse guette l'angélisme papal. Il y a peu de chances, en effet, pour que la générosité humaniste du Vatican serve d’exemple à ceux qu'elle cherche à protéger. Gageons, bien au contraire, qu'elle sera plus volontiers perçue comme un signe supplémentaire de faiblesse de la chrétienté et de l’Europe sinon comme un aveu de leur culpabilisation historique : d'où la probabilité de nouveaux appels d'air en matière d'immigration et d'encouragements implicites au terrorisme. Bref, la soumission telle que la présumait Michel Houellebecq n’est plus très loin.

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