Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 13 octobre 2016

Une vérité blessante



François Hollande a suscité la colère des juges en critiquant vertement la magistrature laquelle se pose désormais en victime. Certes, il est le chef de l'Etat. Mais est-il pour autant scandaleux de sortir de l'hypocrisie et de désigner enfin le fossé qui existe entre les Français et une justice dans laquelle ils ne se reconnaissent plus ?


Mes followers, comme on dit, m’en seront témoins : je n’ai jamais éprouvé de dilection outrancière pour les socialistes d'aujourd'hui et pas davantage pour leur champion, ce dernier eut-il été choisi par la bouche, si l’on ose dire, de madame Nafissatou Diallo. Pourtant, je dois confesser que dans le tout le déballage médiatico-politique qui entoure aujourd’hui l’ouvrage de Gérard Davet et Patrice Lhomme, la sortie présidentielle sur la magistrature m’a plutôt amusé : « une institution de lâcheté (...). C'est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... On n'aime pas le politique. »

Amusant car enfin, les propos tenus par le chef de l’Etat l’ont été délibérément, en pleine connaissance de cause, sans le moindre piège de ses interviewers. Il ne s’agit nullement d’une de ces circonstances chafouines ou sous le manteau « à la Buisson » mais de propos dont leur auteur savait pertinemment qu’ils avaient vocation à tomber un jour prochain dans le grand public.

Par parenthèse, on n’ose imaginer le séisme si, d’aventure, c’était Sarkozy qui avait taxé notre magistrature de lâcheté. N’en doutez pas, la gauche enfin réunie aurait enfourché ses grands chevaux et rivalisé de couplets effarouchés pour défendre l’indépendance de la justice et la démocratie. La presse, elle, n’aurait pas eu de mots assez sévères contre celui qu’elle se plait à voir déjà perdre face à Juppé. Quant aux magistrats, on imagine également qu’ils auraient bondi de leur siège – y compris les parquetiers, du reste - comme un seul homme pour river définitivement son clou à leur ennemi privilégié : sans doute l’intéressé aurait-il eu droit, à supposer que cela ne soit pas déjà fait, à une mention spéciale sur le « mur des cons » ? Peut-être aussi, une énième action juridictionnelle contre lui aurait-elle été déclenchée par un de ces magistrats espiègles du Syndicat de la Magistrature - « indépendants », « impartiaux » et tout, et tout - dont on le gratifie habituellement. 

Mais voilà, ce n’est pas Sarkozy qui a parlé mais bien Hollande. Et, disons-le tout net, pour une fois il a eu parfaitement raison. Il faut en effet que cesse cette hypocrisie insupportable par laquelle les juges prétendent en toute bonne conscience avoir le beurre, l’argent du beurre et l’aménité de la crémière. Oui, oui, je veux bien qu’ils soient débordés, qu’ils croulent sous les dossiers, qu’ils manquent de moyens et souffrent de sous-effectifs. Mais ils ne sont guère les seuls en ce cas et l’on ne sache pas, d’ailleurs, qu’on leur ait imposé ce métier.

Il n’en reste pas moins que lorsqu’un magistrat se plante sur un dossier, à savoir commet une faute qui est de son fait, il demeure intouchable et inamovible à la différence, par exemple, de l’avocat qui doit rendre des comptes à son client voire engager sa propre responsabilité. Et pourtant, l’avocat a non moins de contraintes que le magistrat en termes de surcharge de travail et bien davantage de stress dans l’exercice de sa profession.

Donc, si l’on fait le compte, le magistrat reste intouchable quel que soit son niveau de compétence et quelle que soit la qualité de son travail. Il peut se syndiquer et faire publiquement état de ses opinions sans effaroucher sa hiérarchie, surtout – cela va de soi – si lesdites opinions sont de gauche. Il peut se permettre de vilipender voire d’insulter ou clouer au pilori des hommes politiques, faiseurs d’opinion et même victimes sans encourir le moindre retour de bâton. Résumons : non seulement il a tous ces droits et n’a aucun compte à rendre à la société mais le magistrat peut aujourd’hui se mêler ouvertement de politique. Et il faudrait en plus que la classe politique demeure coi et continue de pratiquer ad nauseam la comédie du respect de l’indépendance de la justice ?

Il est plaisant d’entendre le premier président et le procureur général de la Cour de cassation déclarer que les propos du chef de l’Etat soulèvent un «problème institutionnel». On aurait pu entendre tout aussi bien le vice-président du Conseil d’Etat qui est le plus haut magistrat de notre justice administrative. Mais la ficelle serait un peu grosse si ces magistrats espéraient tirer profit de l’incident pour enfoncer le clou de l’indépendance totale et définitive de la justice par rapport aux autres pouvoirs. Il est plus que temps, tonnent-ils,  que la justice «s'émancipe de la tutelle de l'exécutif», héritée d'une «tradition monarchique d'un autre temps ». Parce qu’une justice opaque qui n’a aucun compte à rendre, parce que des magistrats houspillant quotidiennement du haut de leur superbe de jeunes avocats dans les prétoires sont peut-être des modèles de démocratie ?

De grâce, mettons un terme à toutes ces fredaines. Quant au couplet sur la justice « défenseur de l’Etat de droit », certes. Cela ne doit pas nous faire oublier pour autant que la justice est au service de cet Etat de droit sans être pour autant son incarnation exclusive. D’ailleurs, un peu de décence ne serait nullement superflue quand on se souvient quel fut le rôle de la Cour de Cassation et de certains magistrats sous Vichy. Quand on a de tels défenseurs de l’Etat de droit, mieux vaut encore courir le risque de se faire agresser …

Et puis quoi encore ? Plus fondamentalement, comment la justice peut-elle oser espérer se situer sur le même plan que deux pouvoirs – l’exécutif et le législatif - qui, eux, tirent leur pleine légitimité du vote populaire ? Il ne faut tout de même pas rêver car il y a tout de même des limites à la couardise des politiques, ainsi que le suggère du reste Hollande par ses propos. Si les juges la désirent aussi ardemment, cette indépendance totale, il leur faudra en payer le prix : responsabilité pénale des magistrats voire, comme aux Etats-Unis, élection des juges.

En attendant, nos hauts magistrats peuvent bien invoquer une « humiliation » qui leur aurait été infligée, on les plaindra quand on aura le temps. Et Sarkozy alors, placé en garde à vue par une juge qui avait pourtant appelé avec toute la virulence de son idéologie à voter contre lui, n’a-t-il pas été humilié dans l’indifférence totale de la basoche ? 

Le plus tristement hilarant, dans cette histoire, demeure la position de nos barreaux dont la servilité et la pusillanimité n’ont décidément plus de limite. De quoi se mêlent-ils donc en se déclarant « consternés » et « solidaires » des magistrats ? A-t-on jamais vu des juges – même s'il ne faut pas généraliser - s’affranchir de leur arrogance et montrer la moindre compassion envers les avocats ? Le syndrome de Stockholm vient spontanément à l’esprit pour expliquer un tel comportement de ces notables salonnards du barreau. Ou alors, ils ont définitivement intégré le statut de l’avocat qui n’est plus, ainsi que le souhaite la magistrature, qu’un simple « auxiliaire de justice ».  Triste, triste. 

J'ai honte à l'écrire mais, sur ce coup-là, vive Hollande ! Je promets toutefois que je ne le referai plus. D'ailleurs, je n'en aurai sans doute plus l'occasion.

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