J’écoutais « Hier encore » de Charles Aznavour,
lui qui a tant chanté le temps qui passe et les années qu’on prend
irrémédiablement dans les reins. Vieillir, ce thème éternel, quasi éculé, repris à l’envi par
les écrivains, les poètes, les chanteurs et … les autres. Et pourtant, comment
ne pas sentir la différence entre vieillir et se sentir vieux ?
Vieillir, on le sait bien, est le lot, le destin qui attend
chacun d'entre nous. Dès la trentaine, peut-être même avant pour certains, imperceptiblement
ou d’une façon psychotique, on scrute la première ride, le premier muscle qui mollit, le premier signe
qui confirme qu’on n’est plus hélas sur la pente ascendante. « Si tu
t’imagines, fillette, fillette » chantait Juliette Greco. Eh oui ! Qu'on l'avoue ou non, on guette angoissé la fin
du printemps. Après, on gère, on s’habitue ou on se fait une raison, selon les
cas. Ou pas. On peut bien vieillir, objectivement parlant, comme on peut très mal vieillir, c'est selon.
Se sentir vieux est tout autre chose qui n’a plus rien à
voir avec le temps réel, physique, qui passe. Tout se passe non plus dans les
yeux mais dans la tête. La sensation d'être non plus seulement vieux mais fatigué, harassé. « Vieux
cheval fourbu » chantait Léo Ferré. Fini, inutile, condamné à n’être
désormais que le spectateur un peu vain du temps et de la vie qui s'écoulent. Certes,
il peut advenir d'heureux « accidents » tel une rencontre inopinée, un
retour de flamme improbable. Des événements plaisants également qui peuvent « faire
rajeunir », comme on dit, parfois même à vue d'oeil. A l’époque où il épousa Mia Farrow, qui avait à
peine trente ans de moins que lui, Frank Sinatra chantait « You make me
feel so young ». Nul doute qu’il l’était alors dans sa tête.
D’autres rencontres, à l’inverse, vous font brusquement
réaliser (qu'on me pardonne cette impropriété lexicale), sans d’ailleurs que le ou la partenaire le fasse vraiment exprès,
que vos années décidément comptent double sinon triple et que vous êtes presque hors
circuit. En son temps, Romain Gary avait publié un roman intitulé « Au-delà
de cette limite votre ticket n’est plus valable », tiré d’une des
inscriptions les plus connues du métro parisien. L’expression a fait florès depuis
lors et je n'hésite pas à la détourner pour l'appliquer très exactement à mon propos. Le malheur est que, une
fois cette limite atteinte, on ne peut plus reculer ni même regarder en
arrière. Le temps fuit en accélérant son rythme d'année en année, l’âge passe et « la bête meurt » inexorablement comme
l'écrivait un autre romancier, américain celui-là, Philip Roth.
Se sentir vieux, une des choses les plus dures à admettre même quand on en est conscient. Jusqu'à certaines expressions de la vie courante qui passent mal quand on se sent vieux. Se faire traiter de "vieux con", par exemple : qui sait si, avec avec l'âge, on ne s'offusquera pas davantage du qualificatif que du substantif ? Certains ont coupé court à cette petite mort insupportable en choisissant la vraie, à leur manière et en conclusion d’une logique parfaitement cohérente. D’autres pas et se sont résignés, sans l'avoir vraiment choisie, à la pente douce. Pente aussi irréversible qu'anonyme dont l’épilogue est déjà connu mais pas le détail du scénario. Ferré, décidément, avait
raison dans son désespoir contagieux. Avec le temps, va, tout s’en va. Tutto va bene.
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