Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

lundi 16 mars 2015

L’Algérie française, un gros mot ?



Il y a problème lorsque ceux qui gouvernent notre pays se comportent comme de petits colleurs d'affiches électorales : sans culture ni mémoire.

C’est bien connu, en matière de politique municipale la gauche se permet à peu près tout jusqu’au droit d’honorer des gens pourtant peu recommandables. Ainsi, ce sont des édiles de gauche qui, à Aubervilliers, à Valenton ou à Avion, ont décidé – sans que personne ne vienne à s’en émouvoir et surtout pas Madame Taubira – de faire citoyen d’honneur de leur commune le chef de la branche militaire des brigades des martyrs d’Al Aqsa, commanditaire de plusieurs attentats terroristes (revendiqués) sur notre sol. De même est-ce la municipalité de gauche de Bagnolet qui a décidé d’honorer de la même façon un certain Georges Ibrahim Abdallah, ressortissant libanais qui se trouve aujourd’hui dans les geôles françaises pour avoir assassiné deux diplomates, un Américain et un Israélien. Qui vient à s’en émouvoir ?

La Ville de Paris a honoré tout aussi bien le si regrettable Stéphane Hessel en donnant son nom à une place de Paris dans le 6e arrondissement. Hessel, vous savez ce tricheur à l’indignation commercialement prolifique qui n’hésitait pas à falsifier sa propre biographie (prétendant ainsi, à tort, qu’il était un des rédacteurs sinon le rédacteur de la Déclaration universelle des droits d’homme) et qui prétendait sans effaroucher notre gauche intellectuelle qu’Israël était bien pire que l’Allemagne nazie. Qui s’est alors senti concerné par de telles outrances abjectes ?

En revanche, haro sur le maire de Béziers Robert Ménard qui vient de faire débaptiser une rue de sa cité, dénommée jusque-là, « rue du 19 mars 1962 » pour en faire la « rue Hélie Denoix de Saint-Marc ». Manuel Valls n’a pas eu de mot assez dur sur cette cérémonie qu’il a qualifiée sur le champ de « rance » et de « triste ». De son côté, Stéphane Le Foll n’a pu se retenir de dénoncer ce qu’il a appelé « la nostalgie de l’Algérie française ».

Inculture ? Légèreté ? Démagogie ? On se perd en conjectures sur ces propos politiciens de bas étage. D’abord, c’est bien la moindre des choses de ne pas donner à certaines de nos artères urbaines, le souvenir du 19 mars 1962. Rappelons que cette date marque la conclusion des accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie. Quoiqu’on pense de cette guerre, la simple vérité historique oblige à reconnaître que ces accords se sont soldés par la perte de la souveraineté française sur l’Algérie et le Sahara ainsi que, accessoirement, par l’éviction des Français d’Algérie de leur sol natal. Si l’on peut être soulagé rétrospectivement par la fin d’opérations militaires devenues inutiles, faut-il pour autant se glorifier d’avoir eu à s’incliner piteusement de la sorte ? Faut-il se vanter d’avoir abandonné les pieds noirs et voué les harkis, dont le seul tort était d’avoir voulu croire en la France, à une mort inéluctable ? Célèbre-t-on aujourd’hui les accords de Montoire qui, eux aussi, mettaient fin à des tueries ? Comme le disait le colonel de Gaulle à ses hommes au lendemain des accords de Munich : « Messieurs, on ne pavoise pas quand on vient de prendre une claque ». Le 19 mars 1962 n’est en aucune façon à célébrer et certainement pas à travers des noms de rues et, pourquoi pas tant qu’on y est, des monuments !

Au demeurant, n’en déplaise à M. Le Foll, on ne voit pas pourquoi on ne parlerait pas de l’Algérie française comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse. Si soucieuse, jusqu'à l'obsession, de ne pas stigmatiser les populations musulmanes, la gauche se moque pas mal, en revanche, de stigmatiser les pieds noirs rangés d’emblée dans la catégorie des « nostalgiques de l’Algérie française ». Si M. Le Foll était né en Algérie, n’en aurait-il pas la nostalgie lui aussi ? Gageons qu'il préfère s’indigner utile et suivre les bons conseils de Terra Nova sur l’opportunité de cajoler l’électorat musulman.

Maintenant Hélie Denoix de Saint-Marc. Une fois encore, ce pauvre et trop disert Manuel Valls aura perdu une nouvelle occasion de se taire. « Rance » Denoix de Saint-Marc, vraiment ? Sait-il, notre bon premier ministre, qu’il fut un grand résistant, entré dans le réseau Amicol dès l’âge de 20 ans ? Saint-Marc résista en un temps où René Bousquet, grand ami de Mitterrand, organisait des rafles de juifs en France. Saint-Marc fut déporté à Buchenwald, en cet endroit maudit où « les justes mouraient comme des chiens » ainsi qu’il l’écrira plus tard dans ses Mémoires.

Homme d’honneur, Saint-Marc s’était engagé plus tard dans l’armée, en Indochine puis en Algérie. Il s’était opposé à de Gaulle sur sa politique algérienne, entraînant son Ier REP (Régiment étranger de parachutistes) dans une sédition qui n’était pas synonyme de déshonneur mais, à ses yeux, de fidélité à la France et à ses engagements. Il le paierait d’une condamnation à dix ans de réclusion. A son procès, des gens de gauche comme Jean Daniel ou Gilles Perrault seraient frappés par sa dignité comme par sa hauteur de vues. Mais MM. Valls et Le Foll le savent-ils seulement dans leur inculture crasse ?

Saint-Marc n’était ni un nervi, ni un tortionnaire, ni un idéologue, ni même un factieux. Bien sûr, comment des soi-disant pacifistes, capitulards intoxiqués par leur propre veulerie pourraient-ils comprendre ce personnage d’exception ? Un personnage qui, par la suite, se ferait auteur à succès (couronné notamment par le prix Fémina), et conférencier honnête, reconnaissant ses doutes comme ses erreurs. En 1982, un certain François Mitterrand – il connaissait son histoire de France, lui - avait réintégré Hélie Denoix de Saint-Marc dans ses droits et décorations. En 2011, le président Sarkozy l’avait élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. En 2013, à ses obsèques, le maire de Lyon socialiste, Gérard Collomb, saluait en lui « une figure d’une extrême intégrité, un être authentique habité d’un humanisme profond ».

Gérard Collomb ne se trompait pas. Mais comment des gens comme Valls ou Le Foll, et tant d’autres séides à leur traîne, pourraient-ils seulement comprendre la plénitude complexe d’un tel personnage ? C’est quelque chose qui dépasse ces nains, lesquels ne font qu’aboyer en vain face à la postérité d’un homme qui aura fait honneur à la France et à ses vraies valeurs. Pas ces valeurs de pacotille qu’on nous assène jusqu'à plus soif sur la rengaine du « vivre ensemble ».

Bravo donc, M. Robert Ménard, et qu’à travers votre initiative courageuse, se perpétue le souvenir de cet homme dont la noblesse en imposait à ses contemporains. Que revive aussi un peu l’Algérie de mon enfance, celle qui n’était pas algérienne, celle de mon cœur, et qu'elle puisse encore malgré tout avoir droit à la mémoire. Le seul droit qui nous reste à nous, pieds noirs.

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