Il y a problème lorsque ceux qui gouvernent notre pays se comportent comme de petits colleurs d'affiches électorales : sans culture ni mémoire.
C’est bien connu, en
matière de politique municipale la gauche se permet à peu près tout jusqu’au
droit d’honorer des gens pourtant peu recommandables. Ainsi, ce sont des édiles
de gauche qui, à Aubervilliers, à Valenton ou à Avion, ont décidé – sans que
personne ne vienne à s’en émouvoir et surtout pas Madame Taubira – de faire
citoyen d’honneur de leur commune le chef de la branche militaire des brigades
des martyrs d’Al Aqsa, commanditaire de plusieurs attentats terroristes
(revendiqués) sur notre sol. De même est-ce la municipalité de gauche de
Bagnolet qui a décidé d’honorer de la même façon un certain Georges Ibrahim
Abdallah, ressortissant libanais qui se trouve aujourd’hui dans les geôles françaises
pour avoir assassiné deux diplomates, un Américain et un Israélien. Qui vient à
s’en émouvoir ?
La Ville de Paris a
honoré tout aussi bien le si regrettable Stéphane Hessel en donnant son nom à
une place de Paris dans le 6e arrondissement. Hessel, vous savez ce
tricheur à l’indignation commercialement prolifique qui n’hésitait pas à falsifier sa propre biographie (prétendant ainsi, à tort, qu’il était un des rédacteurs
sinon le rédacteur de la Déclaration universelle des droits d’homme) et qui
prétendait sans effaroucher notre gauche intellectuelle qu’Israël était bien pire
que l’Allemagne nazie. Qui s’est alors senti concerné par de telles
outrances abjectes ?
En revanche, haro sur
le maire de Béziers Robert Ménard qui vient de faire débaptiser une rue de sa
cité, dénommée jusque-là, « rue du 19 mars 1962 » pour en faire la « rue
Hélie Denoix de Saint-Marc ». Manuel Valls n’a pas eu de mot assez dur sur
cette cérémonie qu’il a qualifiée sur le champ de « rance » et de « triste ».
De son côté, Stéphane Le Foll n’a pu se retenir de dénoncer ce qu’il a appelé « la
nostalgie de l’Algérie française ».
Inculture ?
Légèreté ? Démagogie ? On se perd en conjectures sur ces propos
politiciens de bas étage. D’abord, c’est bien la moindre des choses de ne pas
donner à certaines de nos artères urbaines, le souvenir du 19 mars 1962.
Rappelons que cette date marque la conclusion des accords d’Evian qui ont mis
fin à la guerre d’Algérie. Quoiqu’on pense de cette guerre, la simple vérité
historique oblige à reconnaître que ces accords se sont soldés par la perte de
la souveraineté française sur l’Algérie et le Sahara ainsi que, accessoirement,
par l’éviction des Français d’Algérie de leur sol natal. Si l’on peut être
soulagé rétrospectivement par la fin d’opérations militaires devenues inutiles,
faut-il pour autant se glorifier d’avoir eu à s’incliner piteusement de la
sorte ? Faut-il se vanter d’avoir abandonné les pieds noirs et voué les
harkis, dont le seul tort était d’avoir voulu croire en la France, à une mort
inéluctable ? Célèbre-t-on aujourd’hui les accords de Montoire qui, eux
aussi, mettaient fin à des tueries ? Comme le disait le colonel de Gaulle
à ses hommes au lendemain des accords de Munich : « Messieurs, on ne
pavoise pas quand on vient de prendre une claque ». Le 19 mars 1962 n’est en
aucune façon à célébrer et certainement pas à travers des noms de rues et,
pourquoi pas tant qu’on y est, des monuments !
Au demeurant, n’en
déplaise à M. Le Foll, on ne voit pas pourquoi on ne parlerait pas de l’Algérie
française comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse. Si soucieuse, jusqu'à l'obsession, de ne pas
stigmatiser les populations musulmanes, la gauche se moque pas mal, en revanche, de
stigmatiser les pieds noirs rangés d’emblée dans la catégorie des « nostalgiques
de l’Algérie française ». Si M. Le Foll était né en Algérie, n’en
aurait-il pas la nostalgie lui aussi ? Gageons qu'il préfère s’indigner utile et
suivre les bons conseils de Terra Nova
sur l’opportunité de cajoler l’électorat musulman.
Maintenant Hélie Denoix
de Saint-Marc. Une fois encore, ce pauvre et trop disert Manuel Valls aura
perdu une nouvelle occasion de se taire. « Rance » Denoix de
Saint-Marc, vraiment ? Sait-il, notre bon premier ministre, qu’il fut un
grand résistant, entré dans le réseau Amicol
dès l’âge de 20 ans ? Saint-Marc résista en un temps où René Bousquet,
grand ami de Mitterrand, organisait des rafles de juifs en France. Saint-Marc
fut déporté à Buchenwald, en cet endroit maudit où « les justes mouraient
comme des chiens » ainsi qu’il l’écrira plus tard dans ses Mémoires.
Homme d’honneur, Saint-Marc
s’était engagé plus tard dans l’armée, en Indochine puis en Algérie. Il s’était
opposé à de Gaulle sur sa politique algérienne, entraînant son Ier REP
(Régiment étranger de parachutistes) dans une sédition qui n’était pas synonyme
de déshonneur mais, à ses yeux, de fidélité à la France et à ses engagements.
Il le paierait d’une condamnation à dix ans de réclusion. A son procès, des
gens de gauche comme Jean Daniel ou Gilles Perrault seraient frappés par sa
dignité comme par sa hauteur de vues. Mais MM. Valls et Le Foll le savent-ils
seulement dans leur inculture crasse ?
Saint-Marc n’était ni
un nervi, ni un tortionnaire, ni un idéologue, ni même un factieux. Bien sûr,
comment des soi-disant pacifistes, capitulards intoxiqués par leur propre
veulerie pourraient-ils comprendre ce personnage d’exception ? Un
personnage qui, par la suite, se ferait auteur à succès (couronné notamment par
le prix Fémina), et conférencier honnête, reconnaissant ses doutes comme ses
erreurs. En 1982, un certain François Mitterrand – il connaissait son histoire
de France, lui - avait réintégré Hélie Denoix de Saint-Marc dans ses droits et
décorations. En 2011, le président Sarkozy l’avait élevé à la dignité de
grand-croix de la Légion d’honneur. En 2013, à ses obsèques, le maire de Lyon
socialiste, Gérard Collomb, saluait en lui « une figure d’une extrême
intégrité, un être authentique habité d’un humanisme profond ».
Gérard Collomb ne se trompait
pas. Mais comment des gens comme Valls ou Le Foll, et tant d’autres séides à
leur traîne, pourraient-ils seulement comprendre la plénitude complexe d’un tel
personnage ? C’est quelque chose qui dépasse ces nains, lesquels ne font qu’aboyer
en vain face à la postérité d’un homme qui aura fait honneur à la France et à
ses vraies valeurs. Pas ces valeurs de pacotille qu’on nous assène jusqu'à plus soif sur la rengaine du « vivre ensemble ».
Bravo donc, M. Robert
Ménard, et qu’à travers votre initiative courageuse, se perpétue le souvenir de cet homme dont la noblesse en imposait à ses contemporains. Que revive aussi un peu l’Algérie de mon enfance,
celle qui n’était pas algérienne, celle de mon cœur, et qu'elle puisse encore malgré tout avoir droit à
la mémoire. Le seul droit qui nous reste à nous, pieds noirs.
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