Il
est des célébrations historiques étranges. Celle du bicentenaire de la bataille
de Waterloo en fait assurément partie.
On m'accordera charitablement que je ne suis pas du genre à prendre l’histoire par-dessus la jambe.
Tout de même ! Il est des célébrations qui laissent songeur. Je pense
à la douzaine d’ouvrages qui viennent d’être presque simultanément publiés en
prévision de l’« événement ». Au fond, qu’y a-t-il à célébrer ? Pas
tant la chute fascinante d’un héros romantique qui aura fait rêver la France que
la fin inéluctable d’une certaine image, enviée et conquérante, de notre pays. Ce
n’est pas rien. D’ailleurs, s’il est un temps où notre pays put incarner un
modèle sans faire rire, ce fut bien celui-là.
Nos « amis »
anglais détestent traditionnellement Napoléon et c’est bien leur droit, même s’ils
poussent le bouchon un peu loin en s’arrogeant sans vergogne la « victoire »
de Waterloo alors que, comme le général de Gaulle en fit un jour la remarque,
Wellington sans Blücher et malgré les cornemuses des highlanders
…
D’autres Anglo-Saxons comme
les Néo-Zélandais, par exemple, ne sont pas en reste. Combien de fois aurai-je
entendu, durant mon séjour diplomatique dans ce pays, mes hôtes soutenir le
plus sérieusement du monde que Napoléon fut encore pire qu’Hitler. Mais sans
doute, me dis-je aujourd’hui, devaient-ils ignorer que Napoléon n’était pour
rien dans l’affaire du Rainbow Warrior.
Si l’on peut excuser à
la rigueur les étrangers de leur méconnaissance de notre héros national et de
son œuvre, la désinvolture passe beaucoup plus mal dès lors qu’il s’agit de nos
concitoyens. Ayant toujours eu beaucoup de mal à se débarrasser de ses oripeaux
trotskystes, Lionel Jospin, dont on ne soupçonnait pas jusque-là les
compétences d’historien, voit ainsi essentiellement en l’Empereur un tyran
sanguinaire. Il est certain que, pour lui, le Progrès révolutionnaire s’est
arrêté à Robespierre et au 9 thermidor : enfin « progrès » si l’on
veut, à considérer les bienfaits de la guillotine – qui n’est jamais autant
révérée que par les partisans actuels de l’abolition de la peine de mort - et
le quasi-génocide des Vendéens auquel se sont livrés nos révolutionnaires si
espiègles dont on oublie un peu trop facilement l’un des mots d’ordre favoris
issu de l’imagination du citoyen Saint-Just : « Pas de liberté pour
les ennemis de la liberté ».
Mais il y a encore
pire, si l’on ose dire, pour avoir écouté sur une station de radio sérieuse,
Laurent Joffrin, le patron actuel de l’Obs,
reconnaître sa fascination pour l’Empereur ainsi que pour la bataille de
Waterloo. C’est tout à son honneur, en un sens. A l’entendre de la sorte, on l’imaginerait
presque dans son bureau de patron de presse en train de mettre en ordre de
bataille ses petits soldats de plomb de la Grande Armée, entre une chronique
venimeuse contre Sarkozy et un panégyrique de la « vraie gauche »
dont il serait un des seuls à connaître le secret de fabrication.
Là où l’affaire devient
franchement hilarante, reconnaissons-le, c’est lorsque Joffrin paraît s’émouvoir
du romantisme qui émane du personnage de l’Empereur, son côté « homme
sorti de nulle part », sa dimension « seul contre tous ».
Joffrin en romantique ? Certes, comme disait Giscard à Mitterrand, nul n'a le monopole du coeur. C’est étrange, je voyais plutôt en lui un sectaire
au ton faussement patelin ou, mieux encore, un délateur de la pire espèce n’hésitant pas à jeter
à la vindicte du peuple de gauche des noms de « traîtres » intellectuels … un peu
comme on le faisait à la tribune de la Convention et au Club des Jacobins.
Joffrin parlant de Grouchy ? C’est plutôt du Groucho, le cigare en moins
évidemment.
Mais bon, comme dirait
l’autre, le chapeau bicorne de l’Empereur est assez large pour abriter un peu
tout le monde. Pas Jospin ? Soit. Toutefois quel est le benêt qui aura la
stupidité de célébrer le bicentenaire du désastre absolu de la gauche
… le 21 avril 2202 ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire