Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

dimanche 19 juillet 2015

Adieu Jivago !



Dans le tourbillon assez dérisoire des non-événements qui composent un été ordinaire, une disparition qui passerait presque inaperçue : celle d’Omar Sharif.

Une petite larme de sentimentalisme ne fait pas trop de mal en cet été torride perverti par la menace terroriste plus que jamais présente et un Tour de France tragi-comique, taraudé une fois encore par les démons du dopage : les deux phénomènes ne manquant pas, d’ailleurs, d’être récupérés grossièrement par un pouvoir politique aux abois, obsédé par la courbe de sondages invariablement catastrophiques.

Sentimentalisme, disais-je. Oui, parce qu’il nous ramène des décennies en arrière, à un temps que les moins de … quarante ans, au bas mot, ne peuvent pas avoir connu. Et je les en plains. De quand datait le Docteur Jivago, chef d’œuvre cinématographique de David Lean ? Du milieu des années soixante très exactement et, pour tout dire, la préhistoire aux yeux de la génération actuelle qui, bien sûr, a tout inventé.

Peu me chaut, au fond, le regard condescendant que peuvent porter les gens d’aujourd’hui sur le passé. Ce regard-là, qui se repaît sans le moindre complexe d’images glauques de violence et d’érotisme, ce regard qui n'est que story telling et renvoie à une réalité souvent médiocre ne méritant nullement d’être exhibée, au détriment du rêve et de la poésie – excusez du peu - ne sera décidément jamais le mien. Quitte à passer pour un ringard ou un vieux con, et j’en accepte volontiers l’éventualité.

Le passé donc, à savoir le cinéma de David Lean, ce metteur en scène anglais qui avait déjà réalisé le fameux Pont de la rivière Kwaï ainsi qu’un autre film de légende, Lawrence d’Arabie. Des films d’hommes avec pour le dernier, en vedette, l’inoubliable et si regretté Peter O’Toole mais aussi Omar Sharif que d'aucuns auraient pu prendre à l’époque pour l’« Arabe de service ». L’erreur eut été monumentale ! Si Sharif était, en effet, exceptionnel dans le rôle de Shérif Ali, c’eut été un contresens monstrueux de le cantonner dans ce seul registre sous prétexte qu’il était d’origine égyptienne.

Lorsque David Lean entreprit l’adaptation du célèbre roman de Boris Pasternak, c’est tout naturellement qu’il songea à Omar Sharif. Bien lui en prit car ce dernier s’identifia littéralement au personnage central, Youri Jivago. J’avais une quinzaine d’années à l’époque et, je l’avoue, c’est après avoir vu le film que je me suis lancé à corps perdu dans le superbe roman de cet auteur considérable que fut Pasternak puis dans son œuvre poétique. En 1958, lui avait été décerné le prix Nobel de littérature, après que le Docteur Jivago aura connu en Occident un succès de publication formidable grâce, notamment, à l’habileté de l’éditeur italien Feltrinelli, celui-là même qui devait périr une quinzaine d’années plus tard, victime de ses propres agissements terroristes. Pasternak avait dû cependant renoncer au Nobel en raison des pressions énormes exercées sur lui tant par le pouvoir soviétique que par ses vassaux serviles à commencer, bien évidemment, par le Parti communiste français et par son organe L’Humanité qui n’eurent pas de mots assez durs pour démolir cette œuvre « contre-révolutionnaire ».

Appuyé et garanti, quant à lui, par la grande machinerie hollywoodienne, le film obtint le succès universel que le roman ne rencontrerait que plus tard et que progressivement. Aux côtés de l’émouvante Julie Christie, Omar Sharif était pour beaucoup dans cette réussite. Un jeu d’acteur très sûr, une beauté masculine qui contrastait avec les archétypes du cinéma américain de l’époque, d’immenses yeux noirs d’une profondeur bouleversante : tous les ingrédients d’un succès phénoménal qui serait récompensé par cinq Oscars. Paradoxalement, aucun des deux acteurs principaux ne serait récompensé pour leur performance par l’Academy Awards. Toutefois, Julie Christie serait distinguée par le magazine Life qui proclamerait 1965 « The Year of Julie Christie » tandis que Sharif se consolerait avec un Golden Globe.

Devenu mondialement célèbre, Omar Sharif jouerait par la suite dans des rôles trop divers et bien souvent insipides, en tout cas trop alimentaires – l’acteur laissant alors des fortunes sur les tables des casinos - pour qu’on les retienne : de Gengis Khan à Che Guevara, en passant par le capitaine Nemo … On se souviendrait néanmoins avec attendrissement du Funny Girl de William Wyler, dans lequel Sharif donnait la réplique à Barbra Streisand et, sans doute aussi, du si émouvant Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, film de François Dupeyron tiré du roman d’Eric-Emmanuel Schmitt qui valut à Sharif le César du meilleur acteur 2004.


Pour ma part, quand je pense à la noblesse et à l'élégance du monde arabe – et les occasions ne manquent certes pas – me revient à l’esprit la figure d’Omar Sharif, lui qui aura été si longtemps ignoré par les siens parce qu’on le jugeait trop pro-occidental. J’avais eu personnellement l’occasion de le croiser, il y a quelques années, dans la brasserie parisienne d’Auteuil où il avait ses habitudes. Il m'était apparu vieilli, marqué mais restait tout aussi séduisant malgré le poids des ans : modeste, presque timide, foncièrement bon, touchant dans sa façon dépourvue d’ostentation de suggérer qu’il avait quelque part gâché sa vie. Sa disparition récente est de celles qui me font devenir un peu plus vieux, même s’il demeurera éternellement à mes yeux dans la jeunesse de ce Jivago qui aura ébloui mon adolescence. A propos, d’ailleurs, ma fille se prénomme Lara … 


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