Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

vendredi 11 novembre 2016

Comme si de rien n’était (la seconde révolution américaine - suite)



Si en Amérique, l'"ouragan Trump" contraint à un certain examen de conscience, tel n'est pas le cas en France où nos élites n'en démordent  pas.


La presse américaine amorce aujourd’hui un mea culpa spectaculaire, non seulement pour n’avoir rien vu venir mais aussi, plus timidement il est vrai, pour s’être prononcé aussi outrageusement en faveur d’Hillary Clinton. Il en va différemment en France où ceux qui dictent le politiquement correct restent impavides et ne paraissent pas désarmer le moins du monde. Apparemment, ils restent confits dans leurs certitudes ainsi que dans leur prétendue supériorité morale, comme s’ils n’avaient rien appris du séisme qui vient de se produire outre-Atlantique.

Considérons l’éditorial effarant du directeur du Monde en personne, Jérôme Fenoglio. Pour lui, « la colère a gagné, la rage protestataire l’a emporté ». C’est bien le moins qu’on pouvait en dire, même s’il croit devoir en rajouter dans la grandiloquence en comparant l’élection américaine à la chute du mur de Berlin ou au 11 septembre…

Plus intéressante est la cause qu’il impute à cette colère et à cette rage qu’il déplore de toute évidence : le déclassement des classes moyennes ? Les effets dommageables de la globalisation ? L’exaspération des gens face à une immigration incontrôlée ? L’arrogance des élites traditionnelles ? Vous n’y êtes pas du tout. A suivre J. Fenoglio, il existe une cause quasi-unique qui renvoie à la personne de Donald Trump. Voici la description qu’il en donne : « Un milliardaire douteux, qui ne paye pas d’impôts depuis vingt ans, ment comme un arracheur de dents, flirte ouvertement avec le racisme, la xénophobie et le sexisme et qui n’a jamais exercé le moindre mandat électif ou public ». Ou encore : « un promoteur immobilier aux multiples faillites et qui se félicite de ses « bons » gènes européens ». Fermez le ban !

De cette description ressort précisément tout ce contre quoi s’est dirigée la colère du peuple américain dont madame Clinton a été l’incarnation malheureuse. On y ressent ainsi tout le mépris hautain des élites autoproclamées – médiatiques notamment – qui reprochent en gros à Trump d’avoir réussi dans le secteur privé et, en creux, de ne pas avoir prospéré dans la vie politique comme tant d’autres. On y perçoit la condescendance de ces élites pour un homme qui n’est pas diplômé de Harvard, contrairement au couple présidentiel sortant. On y décèle le dégoût envers un homme qui a menti tout au long de sa campagne : comme si, à survoler l’Histoire, ce n’était pas un réflexe largement partagé chez les candidats présents ou passés (rappelons-nous, en France, Jacques Chirac surnommé « super-menteur » avant d’être aujourd’hui quasi-sanctifié), l’archétype en ce domaine restant sans conteste JFK qui aura menti effrontément et au-delà de toute limite durant la campagne de 1960. La nausée pour un homme qui flirte avec le sexisme : comme si Kennedy, encore lui, n’avait pas battu tous les records en ce domaine, comme si Lyndon Johnson ne harcelait pas les secrétaires de la Maison Blanche et un certain Bill Clinton les jeunes stagiaires. Le rejet d’un homme milliardaire - caractéristique déjà impardonnable du point de vue français – qui ne paie pas ses impôts à force d’habileté fiscale encore qu’on ne sache pas que le fisc américain, peu connu pour sa mansuétude, l’ait déclaré personnellement coupable de la moindre escroquerie. Une habileté qui n’est pas plus scandaleuse que celle, naguère, de Joe Kennedy au sujet duquel la presse est restée obstinément laconique.

A vouloir ériger Trump en spécimen aussi nauséabond qu’unique en son genre, on frise rien moins que l’imposture intellectuelle. Mais cela ne semble nullement arrêter nos censeurs et nos timoniers du bon goût.

Si les Américains semblent tourner la page en se faisant, volens nolens, à l’idée d’un Trump président, tel n’est pas le cas des médias français qui décrivent avec gourmandise les manifestations anti-Trump, fussent-elles marginales, devant la Maison Blanche ou à Los Angeles. Des manifestations qui, soit dit en passant, ne reflètent pas un respect immodéré pour le verdict démocratique. Au chapitre de l’odieux, le service public ne manque pas de se distinguer en laissant le soi-disant humoriste Pablo Mira déclarer sur les ondes de France-Inter : « Trump c’est le candidat qui redonne l’espoir, l’espoir qu’il soit assassiné avant son investiture ». Il est à gager qu’on trouvera de beaux esprits pour soutenir cet « humour » en invoquant la liberté d’expression. 

L’ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, quant à lui, n’en est pas revenu au point d’en avoir perdu son sang-froid. Un comble pour un   ambassadeur ! N’a-t-il pas provoqué un tollé au moment même de l’annonce de la victoire de Trump en lançant à chaud sur twitter : « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s'effondre devant nos yeux. Un vertige". Le vertige voire l’écoeurement, ce sont bien les diplomates présents - et passés dont je fais partie - qui pourraient le ressentir face à un manquement aussi grossier au devoir de réserve et à la neutralité la plus élémentaire. Comme il se doit, notre excellence a été défendue sur le champ par son propre ministre, Jean-Marc Ayrault qui n’y a vu pour sa part aucun inconvénient. Sans doute ce dernier avait-il l’esprit ailleurs, du côté de Notre-Dame-des-Landes. Il est vrai que plus rien ne saurait nous étonner dans cette Hollandie finissante qui ne ressemble plus à rien.

Faut-il pourtant que les thuriféraires de la bienpensance soient aux abois pour sortir ainsi de leurs gonds et oublier toute retenue. Dans les colonnes du Figaro, c’est madame Dominique Schapper qui nous invite à « ne pas oublier les excès et les dérives de la campagne » et nous ressert ad nauseam la sempiternelle rengaine féministe d’un autre âge suivant laquelle, en l’occurrence, la société américaine dans sa profondeur trouve encore plus difficile d’élire une femme qu’un « Noir ». Que connaît-elle de la société américaine dans sa profondeur, elle qui n’aura fréquenté toute son existence durant que les salons dorés de la République ou les antichambres huppées de Gallimard ? Comme si, d’ailleurs, une femme candidate à une élection ne pouvait être battue à la régulière sans qu’on ait à rechercher l’explication de sa défaite dans un sexisme supposé ?

Aux yeux de madame Schnapper, la démocratie, la seule, la vraie, consiste à élire systématiquement et quasi-exclusivement des Noirs, des femmes et, plus tard sans doute, des homos. C’est l’Amérique qu’elle aime, nous assure-t-elle. Etant entendu que ceux qui ne partagent pas inconditionnellement une telle dilection doivent être ostracisés sur le champ comme racistes et sexistes. Et cette ancienne membre du Conseil constitutionnel, pour faire bonne mesure, de dénoncer une soi-disant transgression des règles de la pratique démocratique. Mais de quelle règle s’agit-il sinon, de sa part, une volonté tenace de nier la légitimité de l’élection de Donald Trump ? 

Les démocrates ne sont pas ceux qu’on croit et, en tout cas, pas ceux qui s’en proclament les parangons. Quant au « sexisme vulgaire » que D. Schnapper déclare abhorrer, il ne me semble pas l’avoir entendue, en un temps pas si éloigné, exhaler une quelconque répulsion envers les agissements, autrement plus graves, de Bill Clinton dans l’affaire Lewinski. Sait-elle seulement quels furent les exploits, aussi peu respectueux que possibles de la dignité de la femme, d’un Jack Kennedy dans la piscine de la Maison Blanche ou encore d’un  Lyndon Johnson, cet autre womanizer réputé pour sa grossièreté ?

Mais on a les indignations qu’on peut. Madame Schnapper a ses préférences et sa conception de la démocratie, ce qui est son droit absolu. Tout comme c’est mon droit d’affirmer que mon Amérique à moi, celle que j’aime, peut bien renvoyer aussi à Woodstock, à Joan Baez ou à Bob Dylan car j'en ai l'âge. Elle n’est pas forcément celle des pasionarias ou celle qui adule aveuglément les minorités, ethniques et sexuelles, érigées en Bien   suprême : a fortiori celle qui excommunie avec dédain et condescendance tous ceux qui ne pensent pas comme elle, forte d’un soi-disant monopole de l’intelligence ou du sens moral. Ce genre d’exclusivisme est aujourd’hui révolu et c’est bien heureux.

Je me réjouissais sincèrement en 2008 que Barack Obama accède à la Maison Blanche de même que je conviens volontiers que l’avènement d’Hillary Clinton eut marqué d’une pierre blanche la cause des femmes. Cela ne m’empêche guère de penser que Donald Trump est un président légitime et qu’on est bien mal placé en France pour asséner à l’Amérique, une fois de plus, des leçons d’éthique. Accessoirement, j’ai la faiblesse d’imaginer, pour l’avoir tant admiré, que le propre père de madame Schnapper eut été infiniment plus prudent et nuancé dans ses jugements. Un certain Raymond Aron …


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