Si en Amérique, l'"ouragan Trump" contraint à un certain examen de conscience, tel n'est pas le cas en France où nos élites n'en démordent pas.
La presse américaine amorce aujourd’hui un mea culpa spectaculaire, non seulement
pour n’avoir rien vu venir mais aussi, plus timidement il est vrai, pour s’être
prononcé aussi outrageusement en faveur d’Hillary Clinton. Il en va
différemment en France où ceux qui dictent le politiquement correct restent
impavides et ne paraissent pas désarmer le moins du monde. Apparemment, ils
restent confits dans leurs certitudes ainsi que dans leur prétendue supériorité
morale, comme s’ils n’avaient rien appris du séisme qui vient de se produire
outre-Atlantique.
Considérons l’éditorial effarant du directeur
du Monde en personne, Jérôme
Fenoglio. Pour lui, « la colère a gagné,
la rage protestataire l’a emporté ». C’est bien le moins qu’on pouvait en
dire, même s’il croit devoir en rajouter dans la grandiloquence en comparant
l’élection américaine à la chute du mur de Berlin ou au 11 septembre…
Plus intéressante est la cause qu’il impute à
cette colère et à cette rage qu’il déplore de toute évidence : le déclassement
des classes moyennes ? Les effets dommageables de la globalisation ?
L’exaspération des gens face à une immigration incontrôlée ? L’arrogance des
élites traditionnelles ? Vous n’y êtes pas du tout. A suivre J. Fenoglio, il
existe une cause quasi-unique qui renvoie à la personne de Donald Trump. Voici
la description qu’il en donne : « Un
milliardaire douteux, qui ne paye pas d’impôts depuis vingt ans, ment comme un
arracheur de dents, flirte ouvertement avec le racisme, la xénophobie et le
sexisme et qui n’a jamais exercé le moindre mandat électif ou public ». Ou
encore : « un promoteur immobilier aux
multiples faillites et qui se félicite de ses « bons » gènes européens ».
Fermez le ban !
De cette description ressort précisément tout
ce contre quoi s’est dirigée la colère du peuple américain dont madame Clinton
a été l’incarnation malheureuse. On y ressent ainsi tout le mépris hautain des
élites autoproclamées – médiatiques notamment – qui reprochent en gros à Trump
d’avoir réussi dans le secteur privé et, en creux, de ne pas avoir prospéré
dans la vie politique comme tant d’autres. On y perçoit la condescendance de
ces élites pour un homme qui n’est pas diplômé de Harvard, contrairement au
couple présidentiel sortant. On y décèle le dégoût envers un homme qui a menti
tout au long de sa campagne : comme si, à survoler l’Histoire, ce n’était pas
un réflexe largement partagé chez les candidats présents ou passés
(rappelons-nous, en France, Jacques Chirac surnommé « super-menteur » avant
d’être aujourd’hui quasi-sanctifié), l’archétype en ce domaine restant sans
conteste JFK qui aura menti effrontément et au-delà de toute limite durant la
campagne de 1960. La nausée pour un homme qui flirte avec le sexisme : comme si
Kennedy, encore lui, n’avait pas battu tous les records en ce domaine, comme si
Lyndon Johnson ne harcelait pas les secrétaires de la Maison Blanche et un
certain Bill Clinton les jeunes stagiaires. Le rejet d’un homme milliardaire -
caractéristique déjà impardonnable du point de vue français – qui ne paie pas
ses impôts à force d’habileté fiscale encore qu’on ne sache pas que le fisc
américain, peu connu pour sa mansuétude, l’ait déclaré personnellement coupable
de la moindre escroquerie. Une habileté qui n’est pas plus scandaleuse que
celle, naguère, de Joe Kennedy au sujet duquel la presse est restée obstinément
laconique.
A vouloir ériger Trump en spécimen aussi
nauséabond qu’unique en son genre, on frise rien moins que l’imposture
intellectuelle. Mais cela ne semble nullement arrêter nos censeurs et nos timoniers
du bon goût.
Si les Américains semblent tourner la page en
se faisant, volens nolens, à l’idée
d’un Trump président, tel n’est pas le cas des médias français qui décrivent
avec gourmandise les manifestations anti-Trump, fussent-elles marginales,
devant la Maison Blanche ou à Los Angeles. Des manifestations qui, soit dit en
passant, ne reflètent pas un respect immodéré pour le verdict démocratique. Au
chapitre de l’odieux, le service public ne manque pas de se distinguer en laissant
le soi-disant humoriste Pablo Mira déclarer sur les ondes de France-Inter : « Trump c’est le candidat qui redonne
l’espoir, l’espoir qu’il soit assassiné avant son investiture ». Il est à
gager qu’on trouvera de beaux esprits pour soutenir cet « humour » en invoquant
la liberté d’expression.
L’ambassadeur de France à Washington Gérard
Araud, quant à lui, n’en est pas revenu au point d’en avoir perdu son
sang-froid. Un comble pour un ambassadeur ! N’a-t-il pas provoqué un tollé au
moment même de l’annonce de la victoire de Trump en lançant à chaud sur twitter
: « Après le Brexit et cette élection,
tout est désormais possible. Un monde s'effondre devant nos yeux. Un vertige".
Le vertige voire l’écoeurement, ce sont bien les diplomates présents - et
passés dont je fais partie - qui pourraient le ressentir face à un manquement
aussi grossier au devoir de réserve et à la neutralité la plus élémentaire.
Comme il se doit, notre excellence a été défendue sur le champ par son propre
ministre, Jean-Marc Ayrault qui n’y a vu pour sa part aucun inconvénient. Sans
doute ce dernier avait-il l’esprit ailleurs, du côté de Notre-Dame-des-Landes.
Il est vrai que plus rien ne saurait nous étonner dans cette Hollandie
finissante qui ne ressemble plus à rien.
Faut-il pourtant que les thuriféraires de la
bienpensance soient aux abois pour sortir ainsi de leurs gonds et oublier toute
retenue. Dans les colonnes du Figaro,
c’est madame Dominique Schapper qui nous invite à « ne pas oublier les excès et les dérives de la campagne » et nous
ressert ad nauseam la sempiternelle
rengaine féministe d’un autre âge suivant laquelle, en l’occurrence, la société
américaine dans sa profondeur trouve encore plus difficile d’élire une femme
qu’un « Noir ». Que connaît-elle de la société américaine dans sa profondeur,
elle qui n’aura fréquenté toute son existence durant que les salons dorés de la
République ou les antichambres huppées de Gallimard ? Comme si, d’ailleurs, une
femme candidate à une élection ne pouvait être battue à la régulière sans qu’on
ait à rechercher l’explication de sa défaite dans un sexisme supposé ?
Aux yeux de madame Schnapper, la démocratie,
la seule, la vraie, consiste à élire systématiquement et quasi-exclusivement
des Noirs, des femmes et, plus tard sans doute, des homos. C’est l’Amérique
qu’elle aime, nous assure-t-elle. Etant entendu que ceux qui ne partagent pas
inconditionnellement une telle dilection doivent être ostracisés sur le champ
comme racistes et sexistes. Et cette ancienne membre du Conseil
constitutionnel, pour faire bonne mesure, de dénoncer une soi-disant
transgression des règles de la pratique démocratique. Mais de quelle règle
s’agit-il sinon, de sa part, une volonté tenace de nier la légitimité de
l’élection de Donald Trump ?
Les démocrates ne sont pas ceux qu’on croit
et, en tout cas, pas ceux qui s’en proclament les parangons. Quant au « sexisme
vulgaire » que D. Schnapper déclare abhorrer, il ne me semble pas l’avoir
entendue, en un temps pas si éloigné, exhaler une quelconque répulsion envers
les agissements, autrement plus graves, de Bill Clinton dans l’affaire
Lewinski. Sait-elle seulement quels furent les exploits, aussi peu respectueux
que possibles de la dignité de la femme, d’un Jack Kennedy dans la piscine de
la Maison Blanche ou encore d’un Lyndon
Johnson, cet autre womanizer réputé
pour sa grossièreté ?
Mais on a les indignations qu’on peut. Madame
Schnapper a ses préférences et sa conception de la démocratie, ce qui est son
droit absolu. Tout comme c’est mon droit d’affirmer que mon Amérique à moi,
celle que j’aime, peut bien renvoyer aussi à Woodstock, à Joan Baez ou à Bob
Dylan car j'en ai l'âge. Elle n’est pas forcément celle des pasionarias ou
celle qui adule aveuglément les minorités, ethniques et sexuelles, érigées en
Bien suprême : a fortiori celle qui
excommunie avec dédain et condescendance tous ceux qui ne pensent pas comme
elle, forte d’un soi-disant monopole de l’intelligence ou du sens moral. Ce
genre d’exclusivisme est aujourd’hui révolu et c’est bien heureux.
Je me réjouissais sincèrement en 2008 que Barack
Obama accède à la Maison Blanche de même que je conviens volontiers que
l’avènement d’Hillary Clinton eut marqué d’une pierre blanche la cause des
femmes. Cela ne m’empêche guère de penser que Donald Trump est un président
légitime et qu’on est bien mal placé en France pour asséner à l’Amérique, une
fois de plus, des leçons d’éthique. Accessoirement, j’ai la faiblesse
d’imaginer, pour l’avoir tant admiré, que le propre père de madame Schnapper
eut été infiniment plus prudent et nuancé dans ses jugements. Un certain
Raymond Aron …
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