Sarkozy jette l’éponge. La France perd un homme d’Etat, quand elle en compte déjà si peu, la classe politique un bouc-émissaire et la presse un « bon client ».
Ainsi
donc, la messe est dite et l’histoire retiendra que la carrière
politique de Nicolas Sarkozy s’est arrêtée dimanche 20 novembre 2016 sur
le coup de 22 heures. Ce qu’elle ne dira pas en revanche, enfin pas
tout de suite, c’est à quel point l’intéressé désormais à la retraite va
manquer à une foule de gens.
S’est-on
vraiment rendu compte à quel point l’anti-sarkozysme aura représenté,
au cours de ces dernières années, un fonds de commerce politique et
médiatique particulièrement lucratif ? Aura-t-on comptabilisé le nombre
de « unes » lapidaires qu’il aura suscitées, le nombre d’articles
assassins qu’il aura inspirés ? De belles âmes – c’est, bien sûr, une
façon de parler – de Catherine Deneuve à Benjamin Biolay en passant par
l’inévitable Jean-Michel Ribes, ont trouvé dernièrement à s’émouvoir du
« Hollande bashing ». Mais qui se sera préoccupé d’un « Sarkozy
bashing » d’autant plus permanent et convenu, toute une décennie durant,
qu’il participait d’un politiquement correct orchestré par les élites
dites convenables ? Celles-ci n’eurent jamais d’indignations assez
vertueuses pour vitupérer ici le côté « nauséabond » et là, la vulgarité
populiste supposée de Sarkozy.
Il
n'est pas rare que la vie politique se trouve des bouc-émissaires qui
ne sont, au fond, que les révélateurs des insuffisances d'une société.
La France se sera ainsi habituée sans barguigner à François Mitterrand, à
son cynisme et à ses mensonges en cascade, à sa double vie privée – aux
frais de la République, soit dit incidemment – à ses amis collabos,
sans parler de sa prédilection pour les écoutes téléphoniques tous
azimuts. Choque-t-il la postérité ? Pas exactement puisqu'on célèbre
aujourd’hui encore le président socialiste non sans que les bienpensants
ne s’émeuvent, au passage, de ses lettres d’amour à sa maîtresse.
La
France s’est résignée sans tapage à Jacques Chirac, à son immobilisme
légendaire, à sa trivialité corrézienne genre tête de veau sauce
ravigote et bière à toute heure, sans parler de son rapport plutôt
opaque – pour rester sur un mode mineur - à l’argent. Nul doute que
celui qui est devenu désormais « saint Chirac » aura droit à des
obsèques nationales. Au fond, c’est comme pour Johnny Hallyday : toutes
les générations de l’hexagone l’auront connu…
Or
c’est cette même France qui n’aura jamais vraiment accepté Nicolas
Sarkozy, hormis son élection de 2007 à l’Elysée. A cause du
« bling-bling » du Fouquet’s
et du yacht de Bolloré ? Ou à cause du « casse-toi pauv’ con » voire du
« karcher » ? Restons sérieux. Il ne s'agit-là que de broutilles en
comparaison des maîtresses plus ou moins voyantes de Chirac, de ses
frais de bouche extravagants à la mairie de Paris, de ses séjours
dispendieux payés aux frais de la princesse – ou du roi du Maroc, ce qui
pour un président ou pour un ancien président français … - à Marrakech
ou à l’île Maurice ou de son vrai-faux appartement parisien du quai des
Grands Augustins. Broutilles également en comparaison de la façon dont
Hollande aura abaissé la présidence en lieu de vaudeville – de son
inénarrable scooter aux frasques dérisoires de Madame Trierweiler –
voire en tribune journalistique indécente.
Reconnaissons-le
franchement : notre société française n’a jamais accepté Sarkozy parce
qu’il est dérangeant et parce qu’elle-même est hypocrite, frileuse et
abhorre par-dessus tout qu’on lui assène certaines vérités. La France
est définitivement un modèle, qu'on se le dise, et ne peut tolérer qu'on
lui fasse impunément la leçon. Quelles vérités ? Sur son conservatisme
étriqué, par exemple, ou sur son ambiguïté à jouer de l'égalitarisme
alors qu'elle ne renie pas sa prédilection pour les privilèges ; sur sa
révérence excessive envers les « héritiers » dénoncés naguère par
Bourdieu ou sur sa hantise viscérale des réformes ; sur son besoin
d’être cocoonée, flattée, confortée dans l’idée qu’elle est
« le pays des droits de l’homme » ou encore « le pays d’une laïcité et
d’un modèle social » voire « le pays du vivre-ensemble » que le monde
entier nous envie. Ceux qui n’entonnent pas cette rengaine sont les
empêcheurs de tourner en rond, a fortiori ceux qui s'emploient à
détourner brutalement les Français de ces rêveries auxquelles les
convient invariablement le pouvoir socialiste.
Sarkozy
aura été cet homme-là. Atypique, il aura tenté de bousculer les
Français, parfois maladroitement il est vrai, et sans égards ni préavis.
Ils ne le lui ont jamais pardonné. Ils l’ont donc rejeté, vilipendé,
insulté, humilié, à droite comme à gauche. Ils lui ont voué une haine
inextinguible et à maints égards irrationnelle qu’aura symbolisé le
« TSS », « Tout sauf Sarko ». A droite ? Les candidats à la primaire ont
à peu près tous prospéré sur l’anti-sarkozysme, de Juppé à Fillon, sans
parler des seconds couteaux, les plus acharnés à coup sûr, de Copé à
NKM. Que va-t-il ainsi rester à Juppé, lui qui espérait tant profiter
jusqu’au deuxième tour de l’effet repoussoir représenté par l’ancien
chef de l’Etat ? Pas grand-chose et l'on peut constater, dès le
lendemain du premier tour des primaires, le vide sidéral de son
« programme », aussi timoré que centriste, passé jusque-là au second
plan. D’où l’antienne anti-sarkozyste que Juppé entonne derechef …
contre Fillon cette fois, dont il rappelle assez pitoyablement qu’il fut
le premier ministre de Sarkozy et reste donc frappé du péché originel.
Comme si Juppé, lui, n’avait pas été ministre dans le gouvernement
Fillon…
A
gauche, là aussi, le vide ne va pas tarder à se faire sentir. Même si
l’on n’a pas fini d’entendre parler de l’« ultra-libéralisme », du
« conservatisme chrétien » voire du « thatchérisme » de Fillon, nul
doute que Sarkozy manque déjà à Hollande. Il ne manquera pas moins aux
pseudos-commentateurs qui auront manié l’insulte au-delà de toute
convenance. Il manquera tout particulièrement au Monde et à Libération dont il était la tête de turc privilégiée. Est-ce un hasard si le directeur éditorial de Libé,
Laurent Joffrin, s’est livré le lundi matin à un dernier baroud
d’honneur, véritable feu d’artifice de vulgarité envers un perdant dont
l’élégance à reconnaître sa défaite et à tirer sa révérence a été saluée
par tous ? Est-ce un hasard, si tel chroniqueur de gauche sur Radio-Classique
s’est cru obligé de narguer sur un ton goguenard son collègue de
droite ? Est-ce un hasard si tel politologue classé à gauche arborait un
petit sourire narquois de condescendance un rien lassée, à croire que
la gauche venait de gagner l’élection ?
Cette gauche décidément mesquine a les petites et dérisoires satisfactions qu’elle peut. Qu’elle
en profite bien surtout car le temps n’est pas si lointain où elle
devra se rabattre sur le registre des valeurs, qu’elle sait si bien
piétiner au besoin, ou de la vertu indignée qu'elle brandira encore
fièrement ... malgré Cahuzac, Thévenoud et tant d'autres encore.
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