Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

vendredi 18 novembre 2016

Hier le chagrin et la pitié, aujourd’hui la honte



Une famille veut prénommer son enfant « Mohammed Merah ». Le Procureur de la République se borne à vouloir protéger l’enfant …

La France est en guerre, le chef de l’Etat lui-même l’a annoncé et le premier ministre nous le confirme régulièrement par le biais de reconductions d’un état d’urgence auquel, soit dit en passant, semble désormais répugner le Conseil d’Etat en la personne de son vice-président.

Mais il y a une personne au moins à qui on ne l’a pas dit ou qui ne l’a pas entendu ou encore qui fait « comme si » : le procureur de la République de Nice. On apprend, en effet, que le parquet niçois vient d’engager une procédure pour modifier le prénom d'un petit garçon déclaré à l'état civil sous le nom de "Mohamed, Nizar Merah" évoquant celui du tueur djihadiste de Toulouse et Montauban en 2012.

Fort bien, c’est la moindre des choses pourrait-on en conclure logiquement. Il existe tout de même un problème. Au regard des tueries de Charlie Hebdo, du Bataclan et de la Promenade des Anglais, le massacre de Merah semble bien être passé à la trappe. Une broutille en comparaison des tueries de masse susdites ? Pour être odieuse, l'interrogation n'en explique pas moins une certaine amnésie sélective. Rappelons à toutes fins utiles à ceux qui l’auraient oublié qu’en mars 2012 – il y a quatre ans et demi, une éternité – Mohammed Merah avait successivement assassiné le militaire Imad Ibn-Ziaten puis deux parachutistes de Montauban, Abel Chennouf et Mohamed Legouad, enfin dans une école juive toulousaine Jonathan Sandler, ses fils Arié et Gabriel, âgés respectivement de cinq et trois ans, ainsi que Myriam Monsonego, huit ans. Lâchement et de sang-froid. L'horreur à son comble.

Eh bien, cette horreur innommable où des gamins ont été achevés d’une balle dans la tête parce que juifs et filmés en vidéo, il semble bien que d’aucuns l’aient oubliée en chemin. Souvenons-nous qu’en août dernier, une quarantaine de personnalités « françaises et musulmanes » s’étaient fendues d’une tribune dans Le Journal du Dimanche à l’occasion de laquelle elles se déclaraient prêtes à assumer leurs responsabilités et dénonçaient les meurtres perpétrés par les islamistes, de l’assassinat d’un couple de policiers à celui du prêtre de saint-Etienne-du Rouvray en passant par le massacre du 14 juillet … mais en omettant soigneusement l’Hyper Cacher de Vincennes et Mohammed Merah.

On ne sache pas que ces « personnalités » se soient jamais excusées pour une telle omission, ce qui est une façon de faire mourir une deuxième fois les victimes juives concernées. Mais il semble bien qu’aujourd’hui on assiste à une sorte de troisième mort de ces mêmes victimes.

En effet, s’opposer à ce qu’un enfant porte le nom de ces criminels est normal de la part d’un Etat digne de ce nom. Ce qui l’est moins est la motivation juridique pour ce faire. A écouter le Procureur de la République lors d’un point de presse, « donner un prénom à un enfant qui a déjà le nom d'un terroriste très notoirement connu en France est quelque chose qui peut porter préjudice à l'enfant"…
Ah oui, sans doute. Objectons qu’il est tout de même un tantinet réducteur d’envisager uniquement le point de vue de l’enfant – certes réel – en jetant systématiquement aux oubliettes le tourment que cette décision parentale fait resurgir chez les proches des victimes de Merah ; en occultant le scandale par lequel une famille apparemment française glorifie ouvertement la mémoire d’un assassin « notoirement connu » (le Procureur ne pouvait-il donc pas parler pour une fois d'islamiste pour que certains ne fassent pas la confusion avec Pierrot le Fou ?) La honte absolue pour un Etat à ce point inhibé qu'il n’ose même plus nommer l’infamie comme il convient en se retranchant derrière des considérations, triviales en l’occurrence, dénotant un juridisme aussi étroit que chafouin.

Et pour que ne subsiste aucune ambiguïté, en réponse à une journaliste qui supputait la "provocation », l’« inconscience » ou l’« imbécilité" des parents de l’enfant, le magistrat a cru bon d’en rajouter une couche : « C'est vraiment par rapport à l'intérêt pur de l'enfant, et non par rapport à un contexte, ou une religion ou un radicalisme violent supposé que les choses sont prises en compte ». Un « radicalisme violent supposé », la formule en sidérera plus d’un. Et d’ailleurs, au cas où on ne l’aurait encore pas compris et afin que toute honte soit bue irrévocablement, le magistrat de préciser que "c'est de la responsabilité propre de la mairie d'avoir communiqué sur ce dossier particulier, ce n'est pas de mon fait, ni semble-t-il du fait de la famille non plus". C’est donc, selon lui, la mairie de Nice qui a semé le désordre par sa dénonciation de cette décision parentale, piétinant en cela le sacro-saint "vivre ensemble", dans laquelle elle a vu une apologie du terrorisme : ce que ferait d’ailleurs n’importe quel esprit normalement constitué, fût-il juriste.

Bien sûr, n’en doutons pas, nous nous verrons d’ici peu infliger un cours de droit d’où il ressortira qu'en France, depuis 1993, les officiers d'état civil ne peuvent plus décider d'interdire un prénom. Bien sûr, on restera dans l'orthodoxie légale la plus irréprochable dans la mesure où c’est un tribunal qui devra trancher in fine de la question… une fois épuisés tous les recours possibles à l’occasion desquels sera, bien sûr, pilonné le caractère anti-démocratique et liberticide de l’Etat français avec toute la propagande y afférente des Tariq Ramadan et consorts. Bien sûr, le parquet saisira vraisemblablement le juge aux affaires familiales comme le lui permet le code civil. Il y aura même une enquête sur le contexte familial ... pour tout dire l'arme nucléaire : nul doute que les intéressés en tremblent d’effroi par avance.

Il restera le comportement d’un magistrat, et il n’est guère le seul malheureusement, de toute évidence pétrifié à l’idée de nommer les choses et de qualifier les faits correctement voire s’excusant presque par avance de ce qu’il est manifestement contraint de faire, poussé par une municipalité qu’il ne se ferait pas grande violence à caractériser comme extrémiste.

Hier, on évoquait le chagrin et la pitié. Aujourd’hui, il s’agit bel et bien de honte.

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