Le drame est qu’en France, nous avons le goût
et même le regret affiché de la révolution sans être pour autant
révolutionnaires. De tradition, on le sait, les Français sont frileux,
velléitaires, rétifs au changement comme aux réformes. Si nous adoptons
volontiers la rhétorique révolutionnaire et en arborons la faconde, nous n’en
avons guère le tempérament. Au fond, comme le suggérait naguère le romancier
Pierre Daninos dans ses fameux Carnets du Major Thompson, nous sommes un peuple
rouspéteur, revanchard, jaloux aux entournures, mais pas révolutionnaire pour
un sou.
Les Américains, c’est autre chose. Eux sont
nés authentiquement avec la révolution et même de la révolution : non seulement
parce qu’ils sont finalement parvenus à bouter l’Anglais hors de leurs colonies
– ce qui n’était pas un mince défi au regard de la puissance britannique à la
fin du XVIIIe siècle – mais surtout parce qu’ils ont su mettre sur pied un
système institutionnel remarquablement équilibré qui représente, aujourd’hui
encore, l’alpha et l’oméga de leur vie politique. Ce fut là la philosophie de
cette révolution qu’instituèrent, dans leur immense sagesse, les Pères
fondateurs. Une révolution d’essence libérale qui fut exempte d'exactions, de
guillotine comme de dérive dictatoriale de style napoléonien.
Leur révolution, on l’aura compris, n’est pas
la nôtre qui entend conserver coûte que coûte des accents de Carmagnole sur
arrière-plan de marxisme : tropisme robespierriste, tentation de la table rase,
rêve toujours recommencé du Grand Soir. On n’est pas prêt d’en sortir dans un
pays qui trouve aujourd’hui encore parfaitement
naturel – au grand étonnement voire à la commisération de nos voisins -
de compter un parti communiste. En Amérique le changement, quel qu’il soit,
prend rarement les atours de la fureur et de cette violence, syndicale ou
autre, qui nous est devenue si familière. Il ne se conçoit en fait que dans le
cadre des fameux checks and balances (contrôle et équilibre des pouvoirs), ce
modèle conçu tant par Locke que par Montesquieu. Le changement n’en existe pas
moins et, parfois, de manière sidérante : ce qui vient précisément de se passer
avec l’élection surprise de Donald Trump.
Le 8 novembre, le peuple américain a voté et
choisi sans ambiguïté : contre l’establishment washingtonien, qui est pour lui
un repoussoir comparable à la bureaucratie bruxelloise pour les Européens,
contre les élites de la côte Est, contre la pensée unique et le politiquement
correct incarnés jusqu’à la caricature par les médias. Contre cette vulgate,
surtout, qui a fait de la globalisation échevelée et de l'immigration sans
limite des mantras intouchables.
Certes, le peuple américain a élu au passage
Donald Trump qui peut être diversement apprécié au regard de sa personnalité.
Mais il ne s’est pas trompé dans la mesure où ce dernier symbolisait beaucoup
mieux que quiconque la somme de ces refus. Faut-il donc s’attarder sur l’homme,
ses dérapages de campagne et ses outrances à répétition, ou bien plutôt
s’interroger sur les causes qui ont entraîné son avènement ? C’est précisément
le point où Européens et Américains divergent fondamentalement.
Les Européens, tout particulièrement les
Français, restent décidément des peuples vieillissants dont un des sports
favoris est de jouer à se faire peur voire à refaire perpétuellement l’Histoire
– celle du fascisme-qui-ne-passera-pas et des années trente de préférence. Les
Américains, quant à eux, préfèrent aller de l’avant et regarder vers l’avenir.
Question de mentalité, de gènes ou d’habitude, comme on voudra. Ou peut-être parce qu'ils n'ont jamais connu dans leur histoire la moindre tentation fasciste voire dictatoriale ? Ce n’est pas à
dire qu’ils ne conservent pas leur opinion sur leur futur président.
Simplement, plutôt que de se laisser aller à la rancœur, à l’acrimonie ou à
n'importe quel fantasme aussi passéiste que dérisoire, ils restent réalistes et entendent « laisser
sa chance » au vainqueur du moment.
Tout en félicitant aussitôt son adversaire,
la perdante Hillary Clinton a eu une attitude empreinte de classe en souhaitant
- au terme pourtant d'une campagne électorale d'une rudesse inaccoutumée - le succès
présidentiel de Trump et même en offrant de travailler avec lui. Le président
Obama, lui, n’a pas attendu plus de quarante-huit heures pour inviter le
président-élu à la Maison Blanche pour un premier briefing. Ceux qui, en
France, vénèrent le « peuple de gauche » et eussent sans doute souhaité une mobilisation
outre-Atlantique du « peuple démocrate » contre un hypothétique fascisme en
seront pour leur frais. Barack Obama, même s'il continue visiblement à détester
ce Trump qui n’a pas hésité à l’attaquer personnellement sur son lieu de
naissance, ne vient-il pas de déclarer que vainqueurs et vaincus ne formaient
qu’une seule et même équipe et sont Américains avant d’être partisans ?
Belle leçon pour la France, qui croit
peut-être se donner bonne conscience en affichant dans les sondages son hostilité
irréductible au nouveau locataire de la Maison Blanche. Une France qui ferait
d'ailleurs mieux de balayer devant sa porte et ne se rappelle plus qu’en mai
1981 le président sortant avait dû quitter l’Elysée sous les lazzis et les
insultes de la foule parisienne. Une France où, en mai 2012, le nouveau
président a cru bon, dans l’indifférence générale, de déroger aux usages républicains sans parler de la courtoisie
la plus élémentaire en s’abstenant ostensiblement de raccompagner son
prédécesseur sur le perron de la demeure présidentielle. Cette France qui n’a pas encore compris
que l’inélégance et la mesquinerie ne sauraient tenir lieu de démarche
révolutionnaire et encore moins de courage politique.
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