Caractérisée par la dictature de la communication en temps réel et par l’explosion des réseaux sociaux, notre époque laisse a priori peu de place à l’écrivain. Cette place, il doit se la faire lui-même. A lui, donc, le redoutable défi de s’imposer dans un contexte où l’immédiateté et l’émotion prennent souvent le pas sur la réflexion. Pour autant, les idées comme la réflexion n’empêchent pas les saillies, les humeurs voire, pour parler le langage actuel, la proactivité et l’interactivité. C’est la vocation même de ce blog.

Beaucoup de mes écrits ont été consacrés à l’actualité internationale, qu’il s’agisse d’Israël, du Proche-Orient et surtout des Etats-Unis, mon thème de prédilection. D’autres concernent la France et sa politique, des premières amours qu’on n’oublie pas si facilement et qui se rappellent volontiers à notre souvenir. Plus récemment, mes préférences m’ont conduit à vagabonder sur d’autres chemins, plus improbables encore : le monde du spectacle et le show-business qui reflètent d’une manière saisissante les aspirations et les illusions de nos sociétés.

Tels sont les thèmes principaux, quoique non exclusifs, que je me propose d’aborder avec vous, semaine après semaine, dans le lieu d’échange privilégié qu’est ce blog. Il va de soi que je ne me priverai aucunement d’aborder d’autres sujets qui me tiennent à cœur. Je le ferai à ma manière : directe et sans concession, parfois polémique mais toujours passionnée. Tant il est vrai que, dans ses turbulences même, la passion est la sœur jumelle de la sincérité.

jeudi 10 novembre 2016

La deuxième révolution américaine



Contrairement aux Français qui en rêvent souvent et en parlent beaucoup, les Américains savent faire une révolution. Ils viennent encore de le démontrer en élisant Donald Trump.


Révolution ! C'est quasiment l'ADN de la France où beaucoup vivent encore dans la nostalgie du bonnet phrygien. Depuis bien longtemps, sous la férule du politiquement correct, on attend de nous un comportement non plus « civique » comme au temps de la Troisième République et de ses "hussards noirs", mais « citoyen » au sens des sans-culottes. Il est vrai que « citoyen », pour un pays censé être passé des ténèbres à la lumière en 1981 (dixit l'inénarrable Jack Lang), cela fait à la fois plus sexy et plus signifiant en termes de revendication de droits. 


Nous sommes même tellement attachés à ce fantasme jacobin que la pensée unique tente de nous faire accroire que la France, la « vraie », serait née avec la révolution et que le millénaire antécédent, celui des rois de France et des cathédrales, n’aurait été que calembredaines réactionnaires, obscurantistes et sans intérêt. Et, pire encore, que la Terreur n'était au fond que la fille naturelle de la Déclaration des droits de l'homme.

Le drame est qu’en France, nous avons le goût et même le regret affiché de la révolution sans être pour autant révolutionnaires. De tradition, on le sait, les Français sont frileux, velléitaires, rétifs au changement comme aux réformes. Si nous adoptons volontiers la rhétorique révolutionnaire et en arborons la faconde, nous n’en avons guère le tempérament. Au fond, comme le suggérait naguère le romancier Pierre Daninos dans ses fameux Carnets du Major Thompson, nous sommes un peuple rouspéteur, revanchard, jaloux aux entournures, mais pas révolutionnaire pour un sou.

Les Américains, c’est autre chose. Eux sont nés authentiquement avec la révolution et même de la révolution : non seulement parce qu’ils sont finalement parvenus à bouter l’Anglais hors de leurs colonies – ce qui n’était pas un mince défi au regard de la puissance britannique à la fin du XVIIIe siècle – mais surtout parce qu’ils ont su mettre sur pied un système institutionnel remarquablement équilibré qui représente, aujourd’hui encore, l’alpha et l’oméga de leur vie politique. Ce fut là la philosophie de cette révolution qu’instituèrent, dans leur immense sagesse, les Pères fondateurs. Une révolution d’essence libérale qui fut exempte d'exactions, de guillotine comme de dérive dictatoriale de style napoléonien.

Leur révolution, on l’aura compris, n’est pas la nôtre qui entend conserver coûte que coûte des accents de Carmagnole sur arrière-plan de marxisme : tropisme robespierriste, tentation de la table rase, rêve toujours recommencé du Grand Soir. On n’est pas prêt d’en sortir dans un pays qui trouve aujourd’hui encore parfaitement  naturel – au grand étonnement voire à la commisération de nos voisins - de compter un parti communiste. En Amérique le changement, quel qu’il soit, prend rarement les atours de la fureur et de cette violence, syndicale ou autre, qui nous est devenue si familière. Il ne se conçoit en fait que dans le cadre des fameux checks and balances (contrôle et équilibre des pouvoirs), ce modèle conçu tant par Locke que par Montesquieu. Le changement n’en existe pas moins et, parfois, de manière sidérante : ce qui vient précisément de se passer avec l’élection surprise de Donald Trump.

Le 8 novembre, le peuple américain a voté et choisi sans ambiguïté : contre l’establishment washingtonien, qui est pour lui un repoussoir comparable à la bureaucratie bruxelloise pour les Européens, contre les élites de la côte Est, contre la pensée unique et le politiquement correct incarnés jusqu’à la caricature par les médias. Contre cette vulgate, surtout, qui a fait de la globalisation échevelée et de l'immigration sans limite des mantras intouchables.

Certes, le peuple américain a élu au passage Donald Trump qui peut être diversement apprécié au regard de sa personnalité. Mais il ne s’est pas trompé dans la mesure où ce dernier symbolisait beaucoup mieux que quiconque la somme de ces refus. Faut-il donc s’attarder sur l’homme, ses dérapages de campagne et ses outrances à répétition, ou bien plutôt s’interroger sur les causes qui ont entraîné son avènement ? C’est précisément le point où Européens et Américains divergent fondamentalement.

Les Européens, tout particulièrement les Français, restent décidément des peuples vieillissants dont un des sports favoris est de jouer à se faire peur voire à refaire perpétuellement l’Histoire – celle du fascisme-qui-ne-passera-pas et des années trente de préférence. Les Américains, quant à eux, préfèrent aller de l’avant et regarder vers l’avenir. Question de mentalité, de gènes ou d’habitude, comme on voudra. Ou peut-être parce qu'ils n'ont jamais connu dans leur histoire la moindre tentation fasciste voire dictatoriale ? Ce n’est pas à dire qu’ils ne conservent pas leur opinion sur leur futur président. Simplement, plutôt que de se laisser aller à la rancœur, à l’acrimonie ou à n'importe quel fantasme aussi passéiste que dérisoire, ils restent réalistes et entendent « laisser sa chance » au vainqueur du moment. 

Tout en félicitant aussitôt son adversaire, la perdante Hillary Clinton a eu une attitude empreinte de classe en souhaitant - au terme pourtant d'une campagne électorale d'une rudesse inaccoutumée - le succès présidentiel de Trump et même en offrant de travailler avec lui. Le président Obama, lui, n’a pas attendu plus de quarante-huit heures pour inviter le président-élu à la Maison Blanche pour un premier briefing. Ceux qui, en France, vénèrent le « peuple de gauche » et eussent sans doute souhaité une mobilisation outre-Atlantique du « peuple démocrate » contre un hypothétique fascisme en seront pour leur frais. Barack Obama, même s'il continue visiblement à détester ce Trump qui n’a pas hésité à l’attaquer personnellement sur son lieu de naissance, ne vient-il pas de déclarer que vainqueurs et vaincus ne formaient qu’une seule et même équipe et sont Américains avant d’être partisans ?

Belle leçon pour la France, qui croit peut-être se donner bonne conscience en affichant dans les sondages son hostilité irréductible au nouveau locataire de la Maison Blanche. Une France qui ferait d'ailleurs mieux de balayer devant sa porte et ne se rappelle plus qu’en mai 1981 le président sortant avait dû quitter l’Elysée sous les lazzis et les insultes de la foule parisienne. Une France où, en mai 2012, le nouveau président a cru bon, dans l’indifférence générale, de déroger aux usages républicains sans parler de la courtoisie la plus élémentaire en s’abstenant ostensiblement de raccompagner son prédécesseur sur le perron de la demeure présidentielle. Cette France qui n’a pas encore compris que l’inélégance et la mesquinerie ne sauraient tenir lieu de démarche révolutionnaire et encore moins de courage politique.
 

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